Extrait

Pie dan lo

Kim Yip Tong

2024 - 14 minutes

France - Animation

Production : Gao Shan Pictures, We Film

synopsis

Le 25 juillet 2020, le vraquier MV Wakashio s’échoue sur le récif de la côte Est de l’île Maurice. Douze jours plus tard, le pétrole se déverse, provoquant la pire catastrophe écologique jamais survenue dans la région.

Kim Yip Tong

Née en 1991, Kim Yip Tong est une artiste pluri-disciplinaire originaire de l'île Maurice. Elle est sortie diplômée en 2017 du Royal College of Art's School of Communication, à Londres, puis a participé à plusieurs résidences, notamment à la Cité des Arts de La réunion, en tant que lauréate du programme “Visas pour la création” de l’Institut français en 2022.

Coproduit par Gao Shan Pictures et We Film, son film d'animation Pié dan lo, a été projeté en 2024 au Festival international du film d'Annecy, dans le cadre de la compétition Perspectives, et a participé à de nombreuses autres manifestations à travers le monde, dont le FIFOI (Festival international des films de l'Océan indien). Une interview de la réalisatrice avait alors été publiée sur Brefcinema.

Le film a également remporté a remporté le Prix du court métrage, le Prix du jury étudiant et le vote du public du concours de courts métrages sur le thème de “la vie rêvée” lors la 14e édition du Festival Atmosphères / Parcours Nouveaux Récits 2024-2025 (un festival qui se déroule à Courbevoie).

Critique

Avec Pie dans lo, Kim Yip Tong (1) revient sur une catastrophe écologique qui souilla l’océan Indien et les côtes de Maurice, la principale île de la république mauricienne. Désastre qui fut aussi humain, déclenchant une grande mobilisation collective, d’action comme de contestation. Pie dans lo est un film très situé – personnellement, mais aussi géographiquement et culturellement. La réalisatrice figure parmi les membres de ce nous que met en valeur le film puisqu’elle est mauricienne, vit toujours au sud-ouest de l’île, alors que l’échouage du vraquier japonais Wakashio est intervenu au sud-est, dans la région de Mahébourg, ce qui représente seulement une trentaine de kilomètres à vol d’oiseau. Cette dimension ne manque pas de renforcer la dimension émotionnelle du film par rapport aux événements. Seconde façon d’être situé pour Pie dans lo : la production est réunionnaise, unissant We Film et Gao Shan Pictures. Une façon d’affirmer encore plus un point de vue de l’intérieur, géographique mais aussi émotionnel : Maurice se situe à seulement 230 kilomètres de La Réunion. Pour parachever cet ancrage, Pie dans lo avait été présenté dans une version work in progress lors de la première édition du Festival international du film de l’océan Indien (FIFOI). 

Cette situation n’est pas une posture, on la ressent dans le croisement entre son ancrage documentaire et ses moyens sensibles. Côté documentaire : un chœur de témoignages parlés aussi bien en français qu’en créole ou en anglais. Matière que la réalisatrice a recueilli auprès de personnes appartenant à différentes communautés : pêcheurs, skippers, kite-surfers, activistes. Cela renforce l’idée d’un corps collectif fait d’individualités et de diversité, qui se forme pour répondre à la catastrophe, incarnant, selon les mots de Kim Yip Tong, le “lien à l’océan” (2). L’esthétique se charge de dépeindre cette relation organique, une façon de faire corps avec l’élément marin. Au-delà de la diversité technique (aussi bien digitale qu’analogique, la peinture sur verre et la rotoscopie), la stylisation graphique renvoie davantage à l’illustration en mouvement qu’à ce que l’on appelle communément de l’animation. 

L’amorce du film nous met en présence de fonds marins riches et habités, l’enchantement qui en ressort est rompu avec fracas par l’arrivée de la coque du Wakashio, dont la forme et les remous envahissent subitement le cadre dans un sentiment d’effroi, d’une violente intrusion dans un jardin d’Eden à jamais perdu. Pie dans lo ne reste pas fixé à une catégorie esthétique, mais déploie un transformisme visuel pour représenter à la fois la catastrophe et la mobilisation, ceci étant nourri par les mots des témoins. Kim Yip Tong parle d’un “vocabulaire très métaphorique, mystique, citant l’apocalypse, la “vague noire”, le “monstre”... Je me suis connectée à leur trauma et à partir de là, j’ai laissé surgir mes images.” (3) C’est bien ainsi que fonctionne le film, en faisant survenir des visions, en mettant en scène la mutation de l’environnement et celle des humains, mêlant limpidement le spirituel et l’écologique – évidemment inséparable du politique. Il n’y a qu’un personnage ici, l’océan, auquel les humains sont liés par un destin commun. Ce qui arrive à l’un arrive aux autres. 

 

Arnaud Hée 

1. Lire notre entretien avec la réalisatrice par Cloé Tralci, réalisé l’an dernier à l’occasion de la présentation de Pie dans lo en work in progress dans le cadre la première édition du Festival international du film de l’océan Indien (FIFOI). 

2. et 3. Idem 

Réalisation, scénario et montage : Kim Yip Tong. Son : Pierre George, Guy Steer et Woréka. Musique originale : Patyatann et Woréka. Production : Gao Shan Pictures et We Film.

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