Semaine de la critique 2025 : flamboyante séance spéciale !
Deux films-rêves encadrent une comédie savoureuse au sein de la séance spéciale de la 64e édition de la Semaine de la critique projetée hors compétition, au Miramar, ce dimanche 18 mai.
Les trois films courts présentés en séance spéciale cette année ne sont pas signés par des débutants. Les sortir de la compétition allait de soi. Cette séance réunit des œuvres de maturité de cinéastes sur le point de passer au long : Une fugue (produit par Sacrebleu), le splendide nouveau court métrage d’Agnès Patron, réalisatrice de films d’animation à la carrière remarquable, couronnée en 2021 d’un César pour L’heure de l’ours ; No Skate ! (produit par les Films Norfolk), le troisième court métrage de Guil Sela, soit une french comédie hyper savoureuse, à la fois inventive et très référencée, avec les deux jeunes pousses convaincantes que sont Michael Zindel et Raïka Hazanavicius ; et enfin un film bulgare : Eraserheard in a Knitted Shopping Bag (Eraserhead dans un filet à provisions en VF !) de Lili Koss, une réalisatrice dont on ne sait que très peu de choses, mais un film impressionnant – terrifiant et cauchemardesque – qui rend hommage, mieux que n’importe quel discours, à David Lynch, au cinéma de l’ombre et de l’indicible.
Une fugue d’Agnès Patron (visuel ci-dessus)
Agnès Patron n’est pas une inconnue, elle est une des grandes promesses de l’animation made in France. Elle a cosigné plusieurs films (Chulyen, une histoire de corbeau avec Cerise Lopez, en 2015), en a conçu quelques-uns seule (L’heure de l’ours, en 2019), avec souvent à ses côtés des fidèles : Pierre Oberkampf à la musique et Johanna Krawczyk au scénario. Dire que son univers est onirique et expérimental reste en deçà de l’expérience intérieure à laquelle ses films nous convient. Ce sont des contes peuplés de visions, de fantasmes ou de peurs enfantines, de pures images qui dansent dans une dynamique toujours à la lisière de l’épouvante.
Ces films métaphores d’une enfance complexe carburent à un souffle quasi primitif, comme issus des limbes. Sans doute Patron se délivre-t-elle ainsi de toutes les structures imaginaires qui la hantent. Une fugue, visuellement proche d’un tableau de Peter Doig, prolonge et confirme toutes les promesses placées dans la réalisatrice. Plus balisé, plus épuré, ce nouveau court métrage repose de bout en bout sur son motif central : une maison de poupée et deux enfants qui se ressemblent. Avec une douceur immense, Patron ouvre les portes d’un conte fraternel, mélancolique et idyllique, panthéiste et flamboyant, où les couleurs de la nuit et les ombres de la forêt dominent et où les étoiles servent de repères. Un film sur la perte, la disparition, la mort.
No Skate ! de Guil Sela (photo ci-dessus)
Un talent fou et de l’énergie créative : Guil Sela s’inscrit dans la lignée de Quentin Dupieux. Le jeune réalisateur (né en 1996), déjà présent l’an dernier à la Semaine de la critique avec Montsouris (une comédie avec, entre autres, Martin Jauvat, produite avec trois euros et couronnée du Prix Découverte Leitz Cine du court métrage) revient avec un film deux fois plus long.
No Skate ! confirme les espoirs nés de Montsouris. Sur la durée, Sela propose bien autre chose qu’un film méta bien sympa. Comme La bataille de Solférino (Justine Triet, 2013) s’ancrait dans un événement national, No Skate ! prend racine dans le Paris des J.O., en plein été. Les débuts ont des airs de valse des pantins où les personnages sont d’improbables hommes-sandwichs vantant les mérites d’une baignade dans la Seine. La farce est amusante, mais Sela choisit, peu à peu, de se rapprocher de ses acteurs et No Skate ! gagne en ampleur : comédie stylée oscillant entre burlesque et délicatesse, un théâtre de l’absurde taillée dans une délicieuse romcom.
No Skate ! met en scène la rencontre de deux jeunes adultes : Isaac (Michaël Zindel) et Cléo (Raïka Hazanavicius), deux êtres que tout sépare, lui lunaire, elle les pieds sur terre... Le film, rampe de lancement, semble comme taillé à leur mesure des jeunes talents. Le récit, à travers ses improbables déambulations, captive par son savoir-faire et sa cinéphilie (il se cache une leçon de cinéma…), mais surtout via sa patte comique et romantique, inventive et riche. Sela travaille aujourd’hui à premier long métrage : Life is a Beach !
Eraserheard in a Knitted Shopping Bag de Lili Koss (photos de bandeau et ci-dessus)
Premier court métrage au titre intrigant, Eraserhead dans un filet à provisions emprunte les chemins d’une autobiographie irréelle. Soit une collection de retour dans un passé accrochés au tableau d’une passion cinéphile pour Eraserhead (1977), auquel ce court métrage ne cesse de rendre hommage. L’histoire est celle d’une jeune fille qui, au cœur d’un paysage industriel désolé, tente de se réfugier dans un monde parallèle. Une histoire qui en rappelle une autre. De miroitements en miroitements Eraserhead dans un filet à provisions épouse plusieurs registres. Le film paranoïaque, le conte glacé découpé avec l’esprit d’un architecte, et, dans un même mouvement, le film trip autour des traumatismes de l’enfance en déshérence. Comme chez Lynch, ce court métrage respire, transpire à chaque plan d’angoisse et de peur. Née à Sofia et vivant aujourd’hui à Berlin, Lili Koss est une réalisatrice à suivre.
À lire aussi :
- Les Films Norfolk en tête de palmarès du Festival de Cannes 2024.