Cahier critique 25/03/2020

« L’heure de l’ours » d’Agnès Patron

La révélation de Cannes et d’Annecy 2019 !

Une chevelure rouge faisant écho à la toiture d’une maison se meut dans des hautes herbes, tandis que le son des criquets bat son plein. L’incandescence des cheveux d’un petit garçon, qui contraste avec une nuit ténébreuse, est un petit feu sur le point de s’embraser. Au plus jeune âge, tout est exacerbé. Que ce soit notre sentiment d’appartenance au monde lors d’escapades (ressentir physiquement les choses, quitte à s’écorcher les genoux et goûter ses blessures), nos sentiments d’injustice, la colère qui en découle, ou nos découvertes impromptues.

Un homme s’apprête à envahir la cellule familiale, mais aussi l’écran : avec son arrivée tonitruante en voiture, il enfume littéralement l’image. Cette intrusion inopinée marque le début d’une symphonie visuelle et hallucinatoire qui n’est pas sans rappeler le cinéma d’animation abstrait et non narratif de Boris Labbé (voir La chute, également produit par Sacrebleu Productions, en 2018) sur l’émergence d’une tempête intérieure.

Le cinéma d’Agnès Patron invoque un bestiaire d’une obscurité flamboyante. Que ce soit le corbeau, comme vecteur d’histoires incongrues dans Chulyen, histoire de corbeau (2015), coréalisé avec Cerise Lopez ou, ici, l’ours, comme métaphore de l’ébullition inhérente à l’enfance, ou encore la sauterelle, signe d’un fléau inéluctable. Les émotions non muselées peuvent s’avérer aussi sauvages que des animaux. L’ours est à la fois cette grosse bête effrayante, agressive, mais qui pourrait également s’apparenter à une gigantesque peluche, ce dont témoigne la tendresse que le garçon éprouve en caressant sa créature.

La réalisatrice utilise des formes épiques (visions cauchemardesques de maisons en feu, ballet contemporain) pour rejoindre le for intérieur de son personnage. Le geste est aussi intime que de scruter des visages d’enfants, qui remémorent le portrait expressionniste du Cri, de Munch, symbolisant une crise existentielle, comme si la cinéaste voulait se rapprocher au plus près d’un ébranlement qui se meut en éloge de la rébellion et de la désobéissance. Comme dans La veuve Caillou (2011) – film de fin d’études déjà remarquable –, où Agnès Patron mêlait à une plastique foncièrement sombre des thématiques tourmentées.

L’absence de dialogue et la musique singulière de Pierre Oberkampf renforcent ce côté aussi puissant qu’immémorial des peintures primitives et universelles qu’on aurait le sentiment de découvrir avec une torche dans une grotte mystérieuse.

William Le Personnic

Réalisation et montage : Agnès Patron. Scénario : Johanna Krawczyk et Agnès Patron. Image : Nadine Buss.
Animation : Augustin Guichot, Agnès Patron et Sandra Rivaud. Compositing : Pierre-Julien Fieux. Montage : Agnès Patron. Son : Mathias Chaumet. Musique originale : Pierre Oberkampf. Production : Sacrebleu Productions.

Entretien avec Agnès Patron :