Hommage : Laurent Cantet (1961-2024)
C’est avec une émotion immense que nous avons appris la mort de Laurent Cantet, ce jeudi 25 avril 2024. Avec la sensation de perdre à la fois un grand cinéaste et un homme exquis, dont nous avions suivi le parcours depuis le début. Après Laurent Achard tout récemment, la fameuse génération dorée des années 1990 perd un autre de ses chefs de file.
Au mois de juin, l’année dernière, sur le Festival Côté court de Pantin, une mémorable séance célébrant les 40 ans de L’Agence du court métrage s’était de façon très conviviale poursuivie au bar de la terrasse, en un délicieux soir de fin de printemps, à peine perturbé par les fumées de l’incendie géant d’un entrepôt à Bobigny. On n’ira pas jusqu’à y voir un funeste augure, mais parmi les cinéastes aimés – et admirés – qui étaient là, heureux de se retrouver et de replonger dans les films de leurs débuts, il y avait Laurent Achard et il y avait Laurent Cantet. Ce dernier s’est éteint pile un mois après ce pair portant le même prénom.
Cantet, c’était cette génération née au début des Sixties – 1961, précisément pour ce fils d’instits, originaire de Melle dans les Deux-Sèvres – et revitalisant profondément le court métrage, en attendant le cinéma français dans son ensemble, au milieu des années 1990. Il était de la dernière promotion de l’Idhec, qui se transformait en Fémis dans les années Mitterrand/Lang. Il y avait réalisé un film, Les chercheurs d’or, qu’on avoue n’avoir jamais pu voir ; et d’ailleurs, il ne le montrait pas, ou alors il n’y avait plus de support pour le faire… Par contre, Tous à la manif (photo ci-dessus) et Jeux de plage (photo ci-dessous), en 1994 et 1995, on les a vus et revus, sans jamais se lasser, toujours avec le même plaisir et avec le même intérêt.
Deux films comme jumeaux, indissociables, qui avaient fait le tour de France des festivals, empilé les prix (à Pantin, à Belfort, etc. – plus le Prix Jean-Vigo), été montrés dans des programmes scolaires, révélé Jalil Lespert pour le deuxième. Restaurés par le CNC, ils sont visibles actuellement sur Brefcinema, on pourra donc les regarder encore, en pensant à leur auteur. Et lire dans le dernier numéro paru de Bref un grand dossier sur l’Histoire de ces deux œuvres fortes et inaltérables, signé Fabrice Marquat et auquel le cinéaste avait collaboré de bonne grâce.
On avait retrouvé le réalisateur un peu plus tard, au début des années 2010, pour un “Gros plan” bien légitime, comprenant un long entretien, à l’occasion de la sortie de Foxfire, confessions d’un gang de filles, tourné de l’autre côté de l’Atlantique, en anglais et dans des conditions de production que ce cinéaste farouchement attaché à la liberté et l’expérimentation devait a posteriori juger trop lourdes. Entretemps, il avait gagné rien moins que la Palme d’or à Cannes – en 2008, pour Entre les murs.
Pour un réalisateur français, à l’époque, c’était exceptionnel. Le dernier avant lui, ça avait été Pialat pour Sous le soleil de Satan, en 1987, donc plus de vingt ans en arrière. Pialat-Cantet : lui-même devait trouver le raccourci écrasant… Car il était modeste, toujours. Et courtois, ce qui n’est pas si fréquent, la notoriété venant. Réfléchi et posé, aussi. Mais déterminé en permanence et lucide, invariablement. Et ce, depuis son passage réussi au long métrage, avec Ressources humaines, en 2000.
Laurent Cantet primé lors de la clôture du Festival Côté court 1994 (avec Jacky Évrard) © Jean-Michel Sicot.
On savait qu’il était en train de penser, sinon d’écrire et de développer, avec les Films de Pierre, son neuvième long métrage, entre des séances de chimio qui l’épuisaient. Il l’avait pudiquement laissé entendre, sur la terrasse du Ciné 104, une clope au bec – il n’avait pas réussi à arrêter, visiblement… Son dernier film achevé restera donc Arthur Rambo, en 2021. Pas le meilleur : il ne nous en aurait pas voulu de le dire, car il partageait sans doute cet avis, toujours conscient de la valeur ou des lacunes de tel ou tel opus, rêvant parfois de pouvoir reprendre ce qu’il jugeait raté ou insuffisant.
C’était un mec bien, vraiment, et toute notre équipe pense à lui, à sa famille – ses enfants en particulier – et à toute la bande de Sérénade Productions, à laquelle il demeure associé, plus de vingt-cinq ans après. Il va nous manquer, comme au cinéma français. Sale printemps que celui-ci, en vérité…
Photo de bandeau : © Jean-Michel Sicot.
À lire aussi :
- Notre hommage à Laurent Achard.
- Sur le livre Laurent Cantet, le sens du collectif, paru en 2022 chez Playlist Society.