1994 - 28 minutes
France - Fiction
Production : Sérénade Productions
synopsis
Des lycéens préparent une manifestation dans un café. Serge, le fils du patron, essaie de se mêler à eux.
biographie
Laurent Cantet
En 2008, Laurent Cantet décroche la Palme d’or du Festival de Cannes pour Entre les murs. Une consécration qui salue le parcours de ce fils d’enseignants né en 1961 à Melle, dans les Deux-Sèvres, et passé par l’Idhec entre 1983 et 1986.
Ses courts métrages Tous à la manif et Jeux de plage avaient été très remarqués dans les festivals et il avait, dans le second, révélé le jeune acteur Jalil Lespert, qu’il devait retrouver pour Les Sanguinaires, un volet de la série L’an 2000 vu par…, et pour Ressources humaines, son premier long métrage, très bien accueilli à la fois par la critique et le public.
Le cinéaste devenait ainsi l’un des chefs de file de la nouvelle génération de cinéastes, enchaînant les films (une version de la fameuse affaire du docteur Romand dans L’emploi du temps, puis un film sur le tourisme sexuel féminin en Haïti, Vers le Sud).
Après son triomphe cannois, Cantet prend son temps pour embrayer sur son projet suivant et tourne, en anglais et au Canada, Foxfire, confessions d’un gang de filles (2013), d’après un roman de Joyce Carol Oates, puis en espagnol à Cuba Retour à Ithaque (2014).
Il revient en France, plus précisément sur les bords de la Méditerranée, avec L’atelier, interprété par Marina Foïs et le jeune Matthieu Lucci, sorti en salles en octobre 2017.
Arthur Rambo lui succède en 2022, inspiré du scandale ayant impliqué le jeune écrivain Mehdi Meklat. Il restera comme le dernier du cinéaste, qui s'est éteint prématurément le 25 avril 2024, à l'âge de soixante-trois ans, des suites d'une longue maladie.
Critique
Choisissant comme unique décor un café situé à la sortie d’un lycée, Laurent Cantet cherche à capter les bribes de vie et de conversations propres à ce lieu de convivialité et de débats houleux, où se mêlent considérations sur la sexualité et révoltes politiques. Si le jeune réalisateur restitue fort bien dans Tous à la manif le désordre qui règne dans ce café, il joue aussi remarquablement des tensions que ce lieu exacerbe. Ainsi met-il à l’épreuve le discours politique de ces jeunes qui parlent tous ensemble pour mieux se faire entendre. Il s’interroge sur leurs motivations véritables et montre comment le souci de la “chose publique” (la lutte pour l’égalité des droits, le refus de toute sélection, et corrélativement, de toute coordination) laisse progressivement place aux distinctions particulières ; lorsque les lycéens décident un soir d’occuper par la force ce café dont ils ont fait leur quartier général, c’est uniquement pour regarder le journal télévisé où l’une des leurs se manifeste et s’illustre. La mise en scène remet également en question la solidarité entre lycéens (ou étudiants) et travailleurs. Le film est alors le lieu d’une confrontation entre ces jeunes “grévistes” et Serge, apprenti-serveur, qui, bien qu’ayant sensiblement le même âge que ses principaux clients, se trouve toujours en porte-à-faux avec leurs généreux discours. Inclus malgré lui dans les conversations privées, il est a priori exclu des discussions “politiques”. Or Serge n’est autre que le fils du patron. Autant dire qu’il finira lui aussi par se révolter. Mais sa volonté d’émancipation demeurant sans effet, il verra s’éloigner les manifestants, resté seul auprès de son père pour remettre un peu d’ordre dans le café.
Tous à la manif vaut donc pour sa faculté d’incarner des contradictions fortes. Mais on peut également apprécier l’actualité d’un film parfaitement ancré, à la fois dans le cinéma et dans la société française d’aujourd'hui. Bien que la scène de café soit quasiment devenue une scène de genre – historiquement, esthétiquement et idéologiquement marquée par les œuvres de Godard et Eustache par exemple –, le film de Laurent Cantet, dont le sujet même renvoie aux années 1960-1970 et au cinéma militant, appartient en effet totalement au paysage cinématographique contemporain. D’une part, il nous propose, non sans ironie, un instantané de la jeunesse actuelle aux prises avec la politique (le rituel des manifs lycéennes et des grèves estudiantines, reconduit d’année en année depuis bientôt dix ans). D’autre part, il n’est pas sans rappeler les séries coproduites par Arte, Tous les garçons et les filles de leur âge et Les années lycée. Mais si l’on peut évoquer ici la réflexion d’André Téchiné sur la notion d’engagement dans Les roseaux sauvages ou celle de Cédric Kahn sur l’inégalité des chances dans Trop de bonheur, Tous à la manif se rapproche tout de même davantage d’Un air de liberté d’Éric Barbier et du Péril jeune de Cédric Klapisch, qui, flirtant dangereusement avec les lieux communs, sont des films plus étriqués, moins libres et finalement plus scolaires. Et à vrai dire, le film de Laurent Cantet – sans être révolutionnaire – mérite autant que ces derniers de passer à la télévision.
Stéphane Goudet
Article paru dans Bref n°22, 1994.
Scénario et réalisation : Laurent Cantet. Image : Pierre Milon. Son : François Maurel et Camille Chenal. Montage : Muriel Wolfers. Interprétation : Michel Brun et John Bertin. Production : Sérénade Productions.