Extrait
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Jeux de plage

J-30

Laurent Cantet

1995 - 28 minutes

France - Fiction

Production : Sérénade Productions

synopsis

Une villa isolée dans la calanque de Cassis. Éric a dix-huit ans et supporte mal de passer les vacances en famille. Le soir du 15 août, il décide de faire la fête seul.

Laurent Cantet

En 2008, Laurent Cantet décroche la Palme d’or du Festival de Cannes pour Entre les murs. Une consécration qui salue le parcours de ce fils d’enseignants né en 1961 à Melle, dans les Deux-Sèvres, et passé par l’Idhec entre 1983 et 1986.

Ses courts métrages Tous à la manif et Jeux de plage avaient été très remarqués dans les festivals et il avait, dans le second, révélé le jeune acteur Jalil Lespert, qu’il devait retrouver pour Les Sanguinaires, un volet de la série L’an 2000 vu par…, et pour Ressources humaines, son premier long métrage, très bien accueilli à la fois par la critique et le public.

Le cinéaste devenait ainsi l’un des chefs de file de la nouvelle génération de cinéastes, enchaînant les films (une version de la fameuse affaire du docteur Romand dans L’emploi du temps, puis un film sur le tourisme sexuel féminin en Haïti, Vers le Sud).

Après son triomphe cannois, Cantet prend son temps pour embrayer sur son projet suivant et tourne, en anglais et au Canada, Foxfire, confessions d’un gang de filles (2013), d’après un roman de Joyce Carol Oates, puis en espagnol à Cuba Retour à Ithaque (2014).

Il revient en France, plus précisément sur les bords de la Méditerranée, avec L’atelier, interprété par Marina Foïs et le jeune Matthieu Lucci, sorti en salles en octobre 2017.

Arthur Rambo lui succède en 2022, inspiré du scandale ayant impliqué le jeune écrivain Mehdi Meklat. Il restera comme le dernier du cinéaste, qui s'est éteint prématurément le 25 avril 2024, à l'âge de soixante-trois ans, des suites d'une longue maladie. 

Critique

Le plus réussi du précédent film de Laurent Cantet, Tous à la manif, tenait sans conteste à ce qui se jouait dans les rapports entre le père, patron d'un bistrot, et son fils, qui faisait office de garçon de café. Cette situation qui imbriquait un lien familial lourd d'un arriéré de non-dits et la relation professionnelle d'un patron avec son apprenti, se fracturait par l'intrusion des jeunes en grève d'un lycée voisin. Jeux de plage renoue avec une question voisine. Le film commence dans le cadre banal de vacances familiales. Le père, non loin de la cinquantaine, physique quelconque, s'échine, en plein soleil, à malaxer à la pelle du ciment qu'il a préparé. Sa femme, sur une chaise longue, un polar à la main, se disant “fatiguée de le voir travailler”, lui reproche de n'avoir pas appelé leur fils, Éric, pour l'aider. “Si à son âge il n'est pas capable de voir qu’on a besoin de lui...” (cité de mémoire).

La qualité première du film de Laurent Cantet, partant de cette scène non dénuée d'humour – apparemment une habituelle tension entre le père et sa progéniture – semblant épouser la trajectoire d'une chronique naturaliste de bon aloi, est de nous entraîner progressivement dans des eaux plus sombres et plus troubles, aux couleurs de nostalgie, de voyeurisme, d'érotisme, d'envie... Encore convient-il d'avancer ces mots avec prudence, au risque de perdre le flou de sensations, d'impressions jamais clairement exprimées. Laurent Cantet montre des corps – l'opposition physique du père et du fils en dit long –, des jeux de regards, des déplacements dans l'espace – ah ce moment où Éric plonge pour atteindre l'autre côté de la baie par la mer, avant les autres –, des errances nocturnes, des baignades d'adolescents au petit matin. L’ombre de Gombrowicz plane, mais il est ici question d'un père qui, toute une nuit, accompagne de loin son fils en sortie avec d'autres adolescents, le regarde à la dérobée, sans que jamais on puisse décider s'il s’agit d'une perversion, d'une tendresse mal placée, d'un regard d'adieu. Et nous oscillons, passant du sourire à la gêne, de la honte à l'attendrissement, et cela, jusqu'au bout, sans pouvoir imaginer jusqu'où nous conduira le film.

Nul mieux que le cinéma n'est apte à dépeindre les mues, les passages, la poussée irréversible du temps. Jeux de plage en offre une nouvelle fois la preuve. Après cette nuit, entre le père et le fils, rien ne sera jamais plus comme avant.

Jacques Kermabon

Article paru dans Bref n°28, 1996.

Réalisation et scénario : Laurent Cantet. Image : Pierre Milon et Catherine Pujol. Montage : Thomas Bardinet et Tatjana Jankovic. Son : François Maurel et Camille Chenal. Interprétation : Jalil Lespert, Jean Lespert et Julia Minguet. Production : Sérénade Productions.