Retour à La Réunion…
En avril dernier s’est tenue sur l’île de La Réunion la toute première édition du FIFOI. L’une de nos collaboratrices régulières y a séjourné et revient pour nous sur cet événement appelé, espère-t-on, à postérité.
Festival international du film de l’océan Indien, le FIFOI – prononcer “fi-fo-hi” – est né d’une initiative de France Télévisions, notamment de son pôle dédié à l’Outremer ayant rencontré l’énergie de l’association réunionnaise Hors champ.
L’événement apparaît comme une carte de plus ajoutée à l’éventail d’actions entreprises par les membres de cette dernière afin que vive de plus belle le cinéma de l’île de La Réunion, notamment Elsa Dahmani, créatrice de la structure multi-facettes Cinékour. Distribution (via la Kourmétragerie), éducation à l’image, ateliers de réalisation à destination de publics multiples (l’opération Talents La Kour)... Il ne manquait plus qu’un rendez-vous festivalier d’ampleur. Une naissance invite à rebattre les cartes et se (ré)interroger sur les fondamentaux.
Pourquoi un festival de cinéma ? Qu’est-ce que c’est, à quoi cela sert-il ? À plus forte raison sur un territoire qui malgré son immense richesse culturelle souffre de carences, la nécessité de cet espace de rencontres se révèle évidente. Au niveau de la production, les cinéastes réunionnais se trouvent en difficultés pour trouver suffisamment de guichets de financement à l’écoute de leurs récits, ou de professionnel(le)s disposé(e)s à encourager les tournages en langue créole. En termes de diffusion, les films fabriqués sur l’île et la même langue créole sont, durant l’année, tristement quasi invisibles sur les écrans des multiplexes réunionnais. Il en va de même pour la production du continent africain et des îles voisines – l’absence de salle Art et essai à l’échelle locale met à mal une diversité qui, pour exister, ne peut donc plus compter que sur les projections événementielles.
Il était donc extrêmement joyeux de voir, au cours des cinq jours de projections et rencontres professionnelles organisés par l’équipe du FIFOI, s’ouvrir de grandes fenêtres pour accueillir comme il se doit et les films et ces questions. L’ambition de cette première programmation s’est notamment incarnée dans la multiplicité des nations qui y étaient représentées. Dans la sélection de neuf courts métrages réunis par la programmatrice Sarah Terrise et présentée sur le mono-écran de la salle Léspas, située dans la commune de Saint-Paul, au nord-ouest de l’île, on compte les représentant(e)s de huit territoires dont les rives sont baignées par le même océan Indien. La Réunion, bien sûr, et notamment Nathan Clément, qui a remporté le Prix du public avec La vérité sur Alvert, le dernier Dodo (photo ci-dessus), une fiction tournée dans le cadre de ses études à la Head de Genève, pour laquelle il est retourné à Saint-Paul, où il a grandi et où vit sa famille.
À l’est, non loin, l’île voisine, de même gabarit : Maurice – indépendance acquise en 1968. À l’ouest, la géante “Mada” – indépendance acquise en 1960. Au nord-ouest de Madagascar : Mayotte, territoire ultramarin français où réside le cinéaste Germain Le Carpentier, qui y a tourné sa fiction Laka (photo ci-dessous) intégralement en langue shimaoré – une première. Le film est d’ailleurs de retour de Cannes, où il concourait pour le Prix Unifrance. Ensuite, les Comores et, sur le continent africain, les nations côtières : Kenya, Zanzibar, Afrique du Sud. Enfin, bien plus au Nord, l’Inde.
Une gageure que ce dénominateur commun océanique, qui donne à cette riche sélection de courts sans critère d’exclusivité des allures de rétrospective, comme un bouquet qui brosserait un portrait hétéroclite de la production de ces dix dernières années (2012-2024) sur cette zones. Dans un esprit de sororité des îles ou de fraternité des rivages, au fil des films, de leurs thématiques et de leurs formes, s’esquissent des liens de diverses natures entre des territoires peu visibles sur les écrans de métropole.
Pour une bonne partie des cinéastes présents au FIFOI, les questions liés à la diaspora et donc à la double nationalité se pose, point inévitable pour les personnes originaires d’anciennes colonies et territoires ultramarins français. S’il n’est pas ou plus présent sur les passeports, le deuxième pays marque en tous les cas l’histoire intime dont elles héritent malgré elles ou qui habite leur cœur. Tous et toutes ont témoigné d’une immense émotion à partager leur film dans ce cadre, avec un public sans doute à même de saisir instinctivement cette part fondamentale de leur identité, entre imaginaire et traumatismes inconscients.
June Balthazard est française, née à Montbéliard (Doubs), et originaire de l’île Maurice. Elle présentait La rivière Tanier (affiche ci-dessus), documentaire d’animation réalisé en 2018 dans le cadre de son post-diplôme au Fresnoy. Via une technique proche de la gravure particulièrement pertinente pour porter les enjeux du film, la cinéaste dresse le portrait de sa grand-mère mauricienne atteinte d’Alzheimer. Femme créole, descendante d’esclaves, la maladie n’est sûrement pas seule responsable de ses pertes de mémoire. Au fil de cette rivière remontée douloureusement, dans ce noir et blanc cru, empreint de mystère, une définition de la créolité s’esquisse.
Fort de sa belle trajectoire de l’époque (Prix Opening Scenes à Visions du Réel, RIDM Montréal, diffusion sur Brefcinema et sur Tënk), le film ne se trouve plus dans la lancée d’une actualité immédiate. Mais avec cette première présentation dans l’océan Indien où il a rencontré de nombreux échos parmi les spectateurs, c’est comme s’il se voyait confié ou rendu à son public originel, comme s’il connaissait une nouvelle naissance.
Hachimiya Ahamada est également française, née quant à elle à Dunkerque, et originaire des Comores. Cinéaste issue de l’INSAS de Bruxelles, elle accompagnait Zanatany, l’empreinte des linceuls esseulés après sa première mondiale à Rotterdam en janvier dernier (photo ci-dessus). Fiction inspirée d’un épisode bien réel et tragique de l’histoire de Madagascar, Zanatany porte à l’écran le massacre du Rutaka, dont la communauté de Comoriens a été victime en 1976, au nord de l’île, dans la ville de Mahajanga. Dans le cadre d’un récit de fiction brillamment maîtrisé, avec des comédiens non professionnels et une énergie parente de celle de Claire Denis, la cinéaste exhume un conflit crucial et très certainement méconnu, dont les représentations sont trop rares.
Les fictions du continent africain ont décliné des propositions marquantes et des personnages très forts. Le réalisateur kényan Joash Omondi impressionne avec Jua Kali (photo ci-dessous), dans lequel on suit le quotidien de Diana, femme de ménage des beaux quartiers de Nairobi. Sensorielle et radicale, sa mise en scène fourmille d’idées visuelles, nous permettant de percevoir de manière très incarnée les humiliations liées aux tâches de Diana et ses collègues. En swahili, “Jua Kali” signifie “soleil ardent”. L’expression est utilisée également de manière imagée pour désigner une catégorie sociale : les personnes forcées de travailler dehors, en plein soleil donc, occupant par définition les métiers les plus pénibles. Joash Omondi porte ici haut sa révolte sociale au moyen de grandes forces graphiques et rythmiques, dans une esthétique proche du clip qui témoigne pourtant sur la durée d’une véritable proximité avec son personnage.
De son côté, Sandulela Asanda, cinéaste d’Afrique du Sud vivant à Durban, offre avec Mirror Mirror une comédie féministe d’empowerment punchy et affirmée passée par la Berlinale en 2023 (Generation14+). Nous y suivons Luthando (Luhle Macanda), une adolescente en pleine exploration de son intimité, en quête d’un orgasme, et coachée par sa meilleure amie lors d’épiques sessions Facetime. Accueilli par les rires et l’enthousiasme palpable de la salle, Mirror Mirror ouvre un chemin inspirant non seulement dans sa représentation de la sexualité féminine, mais aussi dans la mise en place d’un dispositif de travail le plus respectueux possible avec son actrice au moment du tournage de ces scènes possiblement délicates.
La cinéaste a pu exposer sa méthode dans le cadre proposé par deux jours de rencontres professionnelles du FIFOI. Le programme accueillait des panels dédiés à la production sur l’île de La Réunion, avec la question des possibles maillages à tisser avec des pays du continent africain, ou à la diffusion avec la présence de délégations de France Télévisions nationale et Outremer, et de Canal+. Une rencontre dédiée à la distribution a permis de discuter la frilosité d’investissement sur les sorties salles de longs métrages en langue créole. On se demande s’il ne reviendrait pas au CNC de réfléchir à la mise en place de guichets ciblés sur cette question. Des fonds d’aide à la distribution dévolus aux territoires ultramarins prenant en compte ce critère linguistique permettraient justement d’encourager l’engagement des distributeurs souhaitant porter des films créolophones vers les salles.
Après ce lancement réussi, des questions s’esquissent en vue de l’édition 2025. La zone couverte par la programmation pourrait s’élargir, un appel à films sera peut-être proposé pour une sélection de courts métrages plus actualisée. Les dialogues précieux nés au cours de cette première édition et les visages mis ici enfin en lumière le prouvent, un festival représente chaque fois l’occasion de voir le cinéma traversé par les courants du présent, comme un spectacle vivant.
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