En salles 15/04/2025

Un puissant premier long métrage venu de Lituanie : Toxic

Récompensé par le Léopard d’or au Festival de Locarno en 2024, ce film signé de la réalisatrice Saulė Bliuvaitė, distribué cette semaine au cinéma par Les Alchimistes, porte un regard décapant sur la rudesse du milieu du mannequinat, spécialement à l’Est de l’Europe.

La Saison de la Lituanie en France s’est déroulée à la fin de l’année dernière, et la sélection de courts métrages lituaniens mise en ligne sur Brefcinema pour cette occasion est du reste toujours accessible.

La vitalité de la production du petit état balte est une réalité à la réputation qui n’est pas usurpée et la sortie, cette semaine, de Toxic vient le confirmer de façon éclatante. Primé à Locarno en 2024 et sélectionné dans une multitude d’autres festivals (Sarajevo, le Nouveau cinéma à Montréal ou Les Arcs et Poitiers en France), ce premier long métrage révèle une jeune réalisatrice tout juste trentenaire, née en 1994 : Saulė Bliuvaitė.

Cette dernière s’était d’abord distinguée grâce à un court métrage documentaire, Limousine, en 2021 (photo ci-dessous) et elle a enchaîné avec ce récit très actuel nous entraînant dans un coin de Lituanie lambda, où végètent les adolescents. Les filles, surtout, qui consomment de la vidéo Tik Tok et entendant bien saisir l’occasion de la venue au collège d’une représentante d’une agence de mannequins décidée à trouver de la chair fraîche, il faut bien le dire ainsi.

Marija et Kristina n’ont que 13 ans, mais se mettent à rêver, pour partir de leur cambrousse, gagner le droit d’avoir une autre vie, un peu comme dans Diamant brut, d’Agathe Riedinger, où c’était la télé-réalité qui jouait récemment ce rôle d’aimant (et de probable miroir aux alouettes).

Le titre anglais et international du film est bien choisi, on se doute de la toxicité apparaissant sous beaucoup de formes sur le trajet des deux jeunes filles. Au-delà de son minois, l’une d’elle boîte, ayant une jambe plus courte que l’autre, et ce handicap devient une singularité la faisant sortir du lot pour la chercheuse de corps. Mais jusqu’à quel point ?

La seconde a la hantise de son tour de taille et, pour ne pas prendre un gramme, parvient à commander sur le Dark Web une gélule à ingurgiter, contenant un germe de ver solitaire (si, si, ça semble exister dans ce monde dérégulé…). 

La force du film est d’intégrer une forme d’humour et d’ironie sur la base d’un motif lié à un phénomène pourtant plus que préoccupant, avec aussi et surtout une mise en scène d’une personnalité affirmée, s’appuyant sur des plans fixes, cadrant souvent ses héroïnes en plan large dans des décors post-industriels évoquant la lointaine chute du Mur et la dévastation capitaliste qui s’en est suivie.

À la direction de la photographie, on retrouve d’ailleurs l’excellent Vytautas Katkus, réalisateur de Cherries, visible sur notre plateforme, et qui mène une double carrière dans les arcanes de cette cinématographie où tout le monde se connaît et se croise forcément. On souhaite donc aux deux jeunes interprètes de Toxic, Ieva Rupeikaitė et Vesta Matulytė, de retrouver des occasions de se mettre de nouveau en valeur, notamment devant la caméra de cinéastes femmes, bien présentes dans la création filmique lituanienne.

Christophe Chauville

À lire aussi :

- Sur l’édition 2025 du Festival Cinébaltique.

- Sur Diamant brut et le passage du court au long métrage d’Agathe Riedinger.