En salles 23/11/2024

Du court au long : Agathe Riedinger, le miroir aux idoles

Présenté en compétition officielle sur la Croisette au mois de mai dernier, le premier long métrage d’Agathe Riedinger a gagné les écrans depuis le 20 novembre. Diamant brut prolonge et transcende le travail engagé par la cinéaste dans ses courts métrages. Une mise en scène fascinante de l’hyper-féminisation à l’ère de la télé-réalité et des besoins d’amour abyssaux.

Agathe Riedinger frappe fort avec Diamant brut. Une arrivée tonitruante qui lui a valu de monter cette année le tapis rouge du Palais des festivals, en compétition pour la Palme d’or. De l’or, du clinquant, de l’attention médiatique, que recherche justement l’héroïne de ce premier film sur un format de long. La jeune Liane en veut. Elle veut sa part du gâteau, sa place au soleil, et plus particulièrement sur l’île fantasmée du programme de télé-réalité Miracle Island. Celui-là même qu’elle recherche déjà à atteindre dans le court métrage J’attends Jupiter, six ans plus tôt. Soit un galop d’essai de vingt-deux minutes vers la forme longue.

La protagoniste avait les traits de Sarah-Megan Allouch, elle a ceux de Malou Khebizi aujourd’hui. Alexis Manenti incarnait l’amoureux, il est le grand-frère de celui d’aujourd’hui. L’action se passait à Châteauneuf-les-Martigues, dans les Bouches-du-Rhône, elle a lieu maintenant autour de Fréjus, dans le Var. Mais toujours la Côte d’Azur écrasée par le soleil, le vent, la mer, et l’imagerie de la “cagole” du Sud, revisitée par le filtre des candidates de la classe populaire à la télé-réalité, tremplin vers la reconnaissance sous forme d’ascenseur social par le brillant et le culte de soi.



Déjà dans son court métrage d’études de l’Ensad (soit les Arts déco), Agathe Riedinger creuse son sillon. L’année dernière, à Paris, j’ai rencontré Hortense (2005) suivait une femme en quête d’idéal et de bonheur fantasmés par la danse, le corps, le monologue. Et par la photographie, car la cinéaste débutait par la forme fixe, figée, ici via la pixilation, avant de passer au mouvement par l’image cinématographique.

Même dans ses deux clips pour des artistes musicaux, elle illustre son propos. Pour E.R. de Nameless (2014), elle saisit des adultes en atelier de bien-être par l’extériorisation, avec un gourou et une mise en pratique habillée de positions du Kamasutra. Les femmes apprêtées y sont filmées parfois en inserts sur les maquillages, coiffures et accessoires. Pour M’en veux pas, de Marie-Flore (2020), elle accompagne la chanteuse dans des décors, tenues et couleurs idoines à ses fictions : carrière poussiéreuse, route désertée, rose, jaune, rouge et violet, et échelle des plans et mouvements variés.



Dans Ève (2019), court succédant à J’attends Jupiter (photo ci-dessus), la réalisatrice s’attache via un diptyque à deux femmes âgées, reines de beauté qui ont attendu leur vie entière et espèrent encore l’amour, filmée assises, pensives et lascives, du rose au jaune, du bijou au maquillage, de la perruque aux sequins, du coussin à la moquette. Une quête de l’infini, vers le sésame existentiel aux accents divins : l’absolu. Le corps souffre pour être beau, vu, désiré, reconnu, et pour que l’être soit aimé.

Liane se perce elle-même dans J’attends Jupiter, se tatoue elle-même dans Diamant brut, et Ève et Lili ont accumulé les effets voire les interventions dermatologiques dans Ève. C’est le chemin de croix de vie de ces marcheuses des temps modernes, héritières des cocottes d’antan.

Gravir les échelons d’un système par la beauté, pour mieux vivre, mais surtout accéder à la reconnaissance. Il y a du regard sociologique dans l’entreprise artistique d’Agathe Riedinger, dans notre ère où le féminin est interrogé, discuté, revendiqué, représenté, exploré, et toujours critiqué, dans sa multiplicité. Pas de regard moralisateur. Ni jugement ni complaisance. Elle met en valeur cette recherche du beau par une image belle, âpre et solaire à la fois, pour ne rien perdre de la frontalité, et de l’aridité du chemin. Jusqu’au rayon divin tombant sur Liane montée au ciel, vers sa destinée cathodique, dans l’avion final de Diamant brut.

Le travail sur le son est aussi savant : voix-off et narration parfois sidérante (la voix synthétique d’Ève), instrument de musique contrecarrant les rythmes modernes (le violoncelle de Diamant brut), en harmonie avec l’incrustation graphique des messages digitaux et des pensées mystiques, entre trivial et sacré. Un style affirmé et un propos saisissant, c’est tout l’art d’Agathe Riedinger.

Olivier Pélisson

À voir aussi :

- Un autre film avec Sarah-Megan Allouch : Les îles de Yann Gonzalez.

À lire aussi :

- Lucie Prost du court au long : Fario.