En salles 15/07/2021

De bas étage de Yassine Qnia : géographie de l’échec

Présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, ce premier long métrage sortira le 4 août prochain. Il confirme, après plusieurs films courts remarqués, tout le talent de son réalisateur Yassine Qnia, qui opte en outre pour un certain changement de registre.

Avant sa sortie en salles le 4 août 2021, De bas étage, le premier long métrage de Yassine Qnia aura été présenté à Cannes, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs. Soufiane Guerrab (que l’on a vu dans La vie scolaire de Grand corps malade et Mehdi Idir ou plus récemment dans la série Lupin) est Mehdi, petit escroc qui refuse de travailler mais aimerait pourtant faire vivre sa famille décomposée. Plus ombrageux que les trois courts du réalisateur, le film en reprend néanmoins les motifs : la difficulté de réussir, la place dans le groupe, la fin des illusions.


 
 “Quel drôle de chemin il m’aura fallu pour arriver jusqu’à toi”, confiait à Jeanne le pickpocket de Robert Bresson, à la fin du film. C’est aussi ce que pourrait dire Mehdi, qui épie la mère de son fils depuis sa voiture en ouverture et en fermeture de De bas étage. Entre ces deux plans, quasiment identiques, le personnage tente de reconquérir celle dont il est séparé, et parcourt un “drôle de chemin” intérieur, questionnant ses aspirations et celles de ses proches. Mehdi perce des coffres-forts dans des PME de zones industrielles avec deux amis d’enfance. Dans l’espoir du “gros coup”, il continue cette activité dont le risque augmente autant avec le temps que sa promesse de gain ne diminue. Yassine Qnia installe le trajet immobile de son personnage sur le territoire qu’il filmait déjà dans ses courts : la ville d’Aubervilliers.

Avec un sens du cadre et de l’espace d’une grande précision, il instaure une séparation entre la banlieue où les envies de réussite se trouvent à l’étroit entre la déchetterie et les kebab, et les beaux quartiers que l’on aperçoit au loin de la coursive qui longe l’appartement de l’ami de Mehdi. Avoir les rêves du lieu où l’on habite, naviguer entre activités souterraines et désir d’exhiber des signes extérieurs de richesse étaient déjà les contradictions du personnage de Ladhi qui, dans F430 (2015), parade à travers son quartier dans une Ferrari louée avec un pactole ne lui appartenant pas, au mépris des conséquences. L’impossibilité de concilier désir ostentatoire de vitesse avec le réel se matérialise par le contraste visuel et sonore que produit le véhicule de luxe dans un environnement morne.


 
Molii (2011) donnait également au décor un rôle plastique et dramaturgique. Steve (interprété par Steve Tientcheu) est gardien de nuit pour la première fois dans la piscine municipale où il vient d’être embauché. Un enfant en maillot s’est laissé enfermer et tient absolument à défier l’employé municipal débutant et à se baigner. L’atmosphère nocturne vient déjouer le programme de comédie légère de la situation pour une certaine cruauté. De bas étage se vide de ce burlesque mélancolique qui caractérisait les courts et prend une tonalité beaucoup plus sombre, celle du polar, dans un registre proche des films de Jules Dassin et de leur mélange de suspense et d’observation sociale des marges.
 
La question du collectif est au cœur du cinéma de Yassine Qnia, lui qui a coréalisé Molii avec Carine May, Hakim Zouhani et Mourad Boudaoud et qui a également produit des films avec ces acolytes au sein de la société Nouvelle Toile. Mais le groupe déborde la fabrique de ses films pour en constituer aussi le cœur de ses histoires. “Fais croquer !” , intimait-on à M’Barek Belkouk à qui Yassine Qnia, dans son premier court, en 2011, avait confié son propre rôle à peine fictionné de réalisateur débutant peinant à canaliser ses amis qu’il cherche à faire jouer devant la caméra. Le retour de l’acteur dans De bas étage donne l’impression de voir le personnage revenir dix ans plus tard, une fois ses illusions enfuies. Et c’est justement lui qui plonge pour suivre l’injonction qui, une fois encore, lui est faite de faire passer le salut du collectif avant le sien. Et c’est aiguillon, la peur de l’échec, que le réalisateur continue d’explorer film après film, et dont les personnages s’efforcent de se protéger, chacun à sa façon.

Raphaëlle Pireyre

Photos : © Shana Besson.

À voir aussi :

- Fais croquer, disponible actuellement sur notre plateforme.

À lire aussi :

- Nos critiques de F430 et Molii, déjà programmés par le passé sur Brefcinema.

- Un autre premier long de l’été 2021 : Take Me Somewhere Nice d’Ena Sendijarevic (sorti le 14 juillet).