Cahier critique 05/06/2017

“F 430” de Yassine Qnia

Avez-vous déjà rêvé de rouler des mécaniques en Ferrari ?

Comme pour Molii (voir Bref n°113) et Fais croquer (voir Bref n°106), Yassine Qnia a filmé F430 dans son quartier du Gaston-Carré à Aubervilliers, plaçant devant la caméra amis et connaissances de longue date plutôt que des acteurs connus dont il craint que le souvenir de leurs rôles passés ne fasse écran à son récit. Dans ce premier film écrit et réalisé seul, on retrouve ce qui marquait déjà le ton de ses collaborations précédentes, soit la rupture entre situations comiques, voire burlesques, et conclusion plus sombre.

Ladhi arpente les rues d’Aubervilliers au volant d’une Ferrari qu’il a louée pour la journée avec l’argent d’un vol qu’il a “omis” de transmettre à son commanditaire. Dans un quartier où l’on croise exclusivement des hommes (garçons qui traînent dans les cours ou ouvriers sur un chantier de construction), l’irruption de ce signe extérieur de richesse modifie le regard porté sur le jeune homme, aussi bien que la façon dont lui regarde les rues qu’il connaît bien. Rouge rutilant, vrombissante, sujette aux accélérations brutales, la voiture de sport n’est pas seulement une façon voyante d’exposer un enrichissement aussi passager qu’illusoire. Cet élément exogène injecte du cinématographique dans le quotidien morne et sombre d’une banlieue où rien ne se passe. Comme le parcours de son personnage, le film alterne prise de vitesse du récit et temps d’arrêt, poursuites et pauses cigarettes rêveuses les yeux tournés vers les toits de Paris.

F430 fait preuve d’une redoutable maîtrise du temps et se construit sur des ellipses d’une grande précision, montées à la serpe, avant de donner au temps un cours cyclique. Après sa brève échappée, Ladhi reprend dans les derniers plans la place du passager sur un véhicule plus modeste cette fois. Le scooter de son ami le ramène sur le chemin des activités clandestines (celles qui se trament dans les arrière-cours exiguës et à contre-jour que le film met aussi en scène). Il faut bien que les affaires reprennent…

Raphaëlle Pireyre

Article paru dans Bref n°118, 2016.

Scénario et réalisation : Yassine Qnia. Image : Ernesto Giolitti. Son : Clément Maléo. Montage : Linda Attab et Jessica Menendez. Interprétation : Harrison Mpaya, Vessale Lezouache, Lourad Triki, Hafedh Chalaane, Yassine Houicha et Lahlou Bordjha. Production : Les Films du Worso.