Cahier critique 29/04/2020

“Molii” de Yassine Qnia, Mourad Boudaoud, Carine May et Hakim Zouhani

Les p’tites canailles à la piscine !

Depuis Rue des cités1, Carine May, Hakim Zouhani, Mourad Boudaoud et Yassine Qnia écrivent et tournent à Aubervilliers. C’est là qu’ils ont grandi et installé les bureaux de Nouvelle Toile, société de production portée par Hakim Zouhani et Rachid Khaldi. C’est cette ville qu’ils dépeignent dans leurs films, son urbanisme, son pouls, ses habitants qu’ils font jouer, souvent des proches, dont ils s’inspirent pour écrire les rôles et leurs dialogues, drôles et poétiques. Cette connaissance intime des auteurs avec leur sujet offre à leurs films une belle justesse, et leur travail collectif, “en famille”, une énergie et un souffle remarquables.

Dans La virée à Paname (écrit par Carine May et coréalisé avec Hakim Zouhani), Aubervillers est le lieu duquel le jeune Mourad essaie laborieusement de s’éloigner, le temps d’une soirée, pour assister à un atelier d’écriture à Paris, dans le Ve arrondissement. Les potes, la famille, la petite copine, personne ne comprend ce qu’il irait bien faire là-bas. Surtout un soir de match, surtout un soir où sa tante se marie. Quel intérêt ? Pour qui se prend-il ?

Vessale Lezouade, dont c’est la première expérience de comédien, incarne un Mourad émouvant, à la fois fragile et fort de son désir, de son obstination. Il est pressé ; or on ne cesse de l’alpaguer, de l’appartement familial où l’on prépare un mariage maghrébin, aux rues où l’on bulle, où l’on galère. La route est longue pour parvenir à franchir le peu de kilomètres qui séparent la proche banlieue de Paris. Déjà, dans Fais croquer (voir Bref n°106), réalisé par Yassine Qnia, également situé à Aubervilliers, les quatre auteurs racontaient les incompréhensions et les moqueries que devait affronter un jeune aspirant cinéaste. Il en faut du courage et de la détermination pour assumer un désir artistique que l’environnement ne favorise pas.

Les plans rapprochés qui s’attardent sur les visages, les mouvements fluides de la caméra tout près des corps ou s’éloignant pour montrer leur façon de se mouvoir, rendent palpable l’attention que les cinéastes portent à leurs personnages. Ils semblent fascinés par leur présence. À coup de répliques ciselées ou pour certaines improvisées, débordant de vitalité, ils se donnent généreusement. Tout est là, le réel s’offre dans son incroyable richesse, inutile d’aller chercher l’inspiration ailleurs. C’est ce que finira par comprendre Mourad. Après avoir entr’aperçu des intellectuels discuter d’écriture, il rentre au bercail, bredouille. Et c’est là qu’il se met vraiment à voir la vie qui s’agite autour de lui, à partir de laquelle il commence à remplir sa feuille vierge.

Dans Molii, écrit et réalisé à huit mains, la piscine municipale d’Aubervilliers offre, le temps d’une nuit, son espace pour une poursuite inattendue. Steve, un grand Black flegmatique, remplace exceptionnellement son père, gardien.
À travers des dialogues succincts et pragmatiques (l’un explique à l’autre la tâche à accomplir), nous percevons la relation entre eux dans ses subtilités, ses nuances, sa richesse.

Molii joue avec élégance de la cinégénie du décor : bleu de l’eau, bouées multicolores, lumière des néons, matières, ombres et reflets. La bande-son rend palpables les silences, les résonnances des pas, les clapotis de l’eau, l’existence sensorielle du lieu quasi désert où se situe l’histoire.

Alors qu’il accomplit consciencieusement sa besogne, Steve est confronté à l’irruption incongrue de trois petits garçons venus se baigner. Ils ne parlent pas français, on peut penser qu’ils sont roumains. Insolents, ils défient Steve. Le grand massif et les petits agiles se courent après, s’agrippent, se fuient, explorant divers recoins de la piscine dans une sorte de chorégraphie absurde. Les mots semblent inutiles pour arrêter les enfants. Perspicaces et décomplexés, ils se jouent de Steve et le malmènent. Ce petit jeu est drôle, cruel et tendre. Il s’achève sur une très belle idée de cinéma, à la fois cocasse et émouvante.

Marion Pasquier

1. Sorti en 2013, il a été réalisé par Carine May et Hakim Zouhani. Mourad Boudaoud y jouait l’un des rôles principaux.

Article paru dans Bref n°113, 2014.

Réalisation et scénario : Mourad Boudaoud, Carine May, Yassine Qnia et Hakim Zouhani.
Image : Élie Girard. Montage : Linda Attab. Son : Clément Maléo et Samuel Aïchoun.
Interprétation : Steve Tientcheu et Marcel Mendy. Production : Les Films du Worso.