Table-ronde : quels enjeux pour la diffusion du moyen métrage ?
Pour sa première matinée professionnelle, le Champs-Élysées Film Festival a organisé, le 21 juin dernier, une table-ronde autour de la question du moyen métrage, en compagnie de Maguy Cisterne (secrétaire générale du Festival du cinéma de Brive), Anaïs Colpin (responsable des ventes internationales chez Manifest Pictures), Jacky Évrard (directeur artistique du festival Côté court de Pantin) et Anne Luthaud (déléguée générale du GREC).
S’il s’avère un formidable terrain d’expérimentation pour les cinéastes, y compris les plus confirmés (les derniers exemples en date étant Leos Carax avec C’est pas moi – photo de bandeau – et Lucie Borleteau avec 1996 ou les malheurs de Solveig – photo ci-dessous), le moyen métrage est souvent jugé “compliqué” par les festivals (qui peinent à le faire entrer dans des grilles de programmation trop étroites – quand ils ne l’excluent pas d’emblée de leur règlement) comme par les diffuseurs (qui ne savent pas vraiment comment le programmer). D’où le sentiment d’un format injustement mal-aimé, qui fait d’ailleurs l’objet de débats réguliers destinés à tenter de lui faire une meilleure place.
Le premier réflexe, lorsque l’on parle de films de plus de 30 minutes, est évidemment de penser au Festival de Brive qui, depuis sa création en 2004 sous l’impulsion de la SRF et de cinéastes tels que Katell Quillévéré et Sébastien Bailly, est devenu leur refuge privilégié. Quitte, parfois, à dédouaner les autres festivals de se pencher sérieusement sur le format. Si les moyens métrages ont leur place à Cannes dans les sélections de la Semaine de la critique (4 sur 13 cette année) et parfois de la Quinzaine des cinéastes (2 sur 10 en 2023), ils sont par exemple exclus d’emblée de la compétition officielle (réservée aux films de moins de 15 minutes). D’autres, comme Venise, se limitent à 20 minutes…
Pour sa part, Côté court programme du moyen métrage depuis sa création en 1992. “Je n’ai jamais fait de différence entre un film de 20 minutes et un de 40”, a rappelé Jacky Evrard. Chaque film doit avoir sa juste durée. D’ailleurs, le développement du récit sur un temps plus long fait que les films s’imposent souvent davantage. Donc ils reçoivent plus souvent des prix”. Raison de plus pour ne pas les snober et cette année, sur les 126 œuvres présentées à Pantin, environ un tiers étaient des moyens métrages.
Pour Anaïs Colpin, pas question non plus de se priver du format. Manifest distribue un à deux nouveaux moyens métrages chaque année, sur une soixantaine de titres (dont 24 lieux de la vie d’une femme, d’Aude Thuries, en 2024 – photo ci-dessous). “Nous en recevons clairement moins que des courts, mais la durée n’est jamais un frein. Nous nous posons exactement les mêmes questions de stratégie que pour les autres films. On sait très bien que la question de la diffusion se pose déjà au-delà de 15 minutes, et qu’au-dessus de 25, on se ferme un certain nombre de portes… Ce sont des arbitrages à trouver en interne.”
Le Grec, lieu d’accompagnement des premiers films “en tout liberté”, est lui aussi confronté à ces problématiques de durée. “Nous aidons les cinéastes à faire leurs premiers films sans contrainte, sans les faire rentrer dans une case et sans les formater. Or, bien évidemment, l’idée de la durée va dans cette direction-là. Nous accompagnons donc tous les formats. L’idée est d’accompagner un désir de cinéma, et d’accompagner le réalisateur ou la réalisatrice là où il ou elle a envie d’aller, pas là où nous pensons qu’il faudrait aller, selon Anne Luthaud. Mais la question de la durée se pose dès la production, dans la mesure où les cinéastes ont envie que leurs films soient vus, tout simplement.”
Aurélien Deseez, de Melodrama Productions, présent dans la salle, a pu confirmer que la question de la diffusion est présente pendant tout le processus de création, et se cristallise au moment du montage : “On essaie bien sûr de trouver la bonne longueur, mais lorsqu’on arrive autour des 30 minutes, on sent une crispation de la part des réalisateurs qui s’interdisent d’aller au-delà.” Pour Sacha Trilles, réalisateur de Berthe is Dead but it’s OK, en compétition au Champs-Élysées Film Festival cette année (photo ci-dessous), et assistant lui aussi à la rencontre, “le terme “moyen métrage” fait peur. On a l’impression que notre film ne sera montré nulle part”.
Car au-delà des festivals, ce sont aussi les chaînes de télévision qui sont frileuses face au format. Même si, paradoxalement, elles ont l’habitude de diffuser des moyens métrages documentaires… Les plates-formes, elles, ont une approche plus pragmatique : “Certaines sont demandeuses de moyens métrages, car elles ont constaté que les spectateurs sont plus friands de moyens que de courts”, a précisé Anaïs Colpin. “Ce sont des habitudes de consommation”, a renchéri Maguy Cisterne. À Brive, nous n’avons pas uniquement un public de spécialistes. Les gens viennent voir des films, ils ne se préoccupent pas du format.”
Et sans doute est-ce la meilleure conclusion à apporter au débat. S’il est nécessaire de définir le moyen métrage par sa durée pour des raisons de production, il ne faut jamais oublier que derrière ce terme technique se cachent des histoires, des récits, des images, des émotions… En un mot : du cinéma. Et c’est encore ce qui est le plus à même de convaincre spectateurs comme décideurs. Quand on aime, on ne compte pas les minutes.
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