Sur Scénarios de Jean-Luc Godard
C’était une surprise de voir présenter sur les écrans de Cannes, il y a quelques jours, un nouvel opus de Jean-Luc Godard. Son véritable dernier, cette fois ?
On pensait, avec Film annonce du film qui n’existera jamais : “Drôles de guerre” (dans les salles depuis le 8 mai), découvrir le dernier film tourné par Jean-Luc Godard, une œuvre posthume constituée de collages, d’auto-citations, et de sa voix si présente, si familière, et si vivante. Mais n’en finissant plus de nous surprendre, y compris depuis l’au-delà, le cinéaste avait en réalité tourné un autre film, Scénarios, achevé la veille de sa mort en septembre 2022, présenté à Cannes Classic cette année. Cette nouvelle œuvre posthume se compose de deux mouvements (“ADN, éléments fondamentaux” / “IRM, Odyssée”), comme on le dirait d’un concerto, et reprend le concept du collage et de la juxtaposition : des images défilent de gauche à droite, d’autres s’animent. Ici ou là, on reconnaît un photogramme, un extrait de scène (Week-end : “ils sont morts, tous ces cons !”, Le mépris…). On a le sentiment de feuilleter un livre d’images, cette forme ultime qu’a prise le cinéma de Godard, qui tient tout à la fois du mashup et de l’album de souvenirs.
Le deuxième mouvement commence exactement comme le premier, puis diverge vers d’autres horizons cinématographiques, avant de s’achever sur un ultime autoportrait du cinéaste. Assis sur son lit, torse nu, il écrit la réplique qu’il avait prononcée quelques instants plus tôt, la redit à voix haute, fait une seconde prise. Ce sont les dernières images de Jean-Luc Godard vivant. Son dernier acte de cinéma. Un double mouvement de balancier : la genèse / le déclin. Pourquoi est-ce passionnant ? Parce que c’est le cinéma qui est entièrement contenu dans ces 18 minutes. Pas une vision figée, façon reader digest, le cinéma pour les nuls. Mais le cinéma comme art de vivre - et de mourir. Un concentré de pistes, de formes, de possibles… de cet objet cinéma qui aura tant occupé le cinéaste, jusqu’à la fin.
Lui faisant directement suite, le moyen métrage Exposé du film annonce du film “Scénario” qui, par le jeu du montage, nous montre Godard au travail : à peine mort, il est déjà de retour, entièrement absorbé par le cinéma. Dans ce documentaire tourné en 2021, le film est littéralement en train de se faire sous nos yeux, d’une manière qu’il ne nous a jamais été donnée de voir. Feuilletant le cahier qui contient toutes ses indications, la “brochure” comme il l’appelle, le réalisateur explique, commente, interroge, fait des hypothèses… Il rêve le film, sous cette forme mouvante destinée à ne jamais être figée.
Ce diptyque est probablement la seule conclusion possible (une conclusion en forme de suspension) à une carrière comme celle de Godard. On ressent bien sûr une émotion absolue à le voir tremblant, la voix si basse, le cerveau peut-être au ralenti mais toujours en ébullition. Fragile et vulnérable, et pourtant totalement là. C’est un peu comme s’il ne se contentait plus de faire du cinéma, mais l’incarnait. Ou plutôt : le digérait et le régurgitait pour nous en transmettre l’essence, ce qu’il en reste à la fin. Révolutionnant une dernière fois les systèmes (de narration, de formes, de regard), il incite le spectateur à en faire autant, et à prolonger après lui son incessante réflexion sur le médium.
Photos du film : © Écran noir Productions.
Photo de Jean-Luc Godard : © Fabrice Aragno.
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