Retour sur le palmarès de Clermont 2025
Ayant battu son record avec plus de 173 000 entrées sur cette 47e édition, le Festival de Clermont-Ferrand a vu ses différents jurys livrer leur verdict le week-end dernier, non sans quelques surprises.
Puisque, sur le volet du court métrage, le monde entier se donne rendez-vous à Clermont, commençons par la compétition internationale, dont le Grand prix a été décerné à un film australien, Unspoken de Damian Walshe-Howling (photo ci-dessous). De facture somme toute assez classique, celui-ci a au moins le mérite de mettre en lumière un épisode historique complètement méconnu, à savoir des émeutes réprimées durement sur l’île-continent, en 1979, après des manifestations de militants croates exilés loin de la Yougoslavie encore placée sous le joug titiste. L’héroïne, Marina, est issue de cette communauté, se heurtant au racisme ordinaire du père de son petit-ami, un “aussie” bien propre sur lui, et se heurtant à la dureté de la réalité tandis que les flics investissent brutalement le logis familial.
Le jury “inter” a en outre remis son prix spécial à une production québécoise, Mercenaire de Pier-Philippe Chevigny, qui permet de retrouver dans le rôle principal Marc-André Grondin, revu l’an dernier dans Le successeur, deuxième long métrage de Xavier Legrand. Avec le même look – crâne rasé et barbiche –, il incarne ici un ex-détenu en réinsertion dans un endroit des plus sordides, un abattoir. Difficile de sortir de la spirale de la violence dans un tel contexte…
Mais le plus beau film de ce palmarès est sans doute Upshot, de Maha Haj, récompensé du Prix du public (photo de bandeau). La réalisatrice, à qui l’on doit déjà deux longs métrages (Personal Affairs en 2016 et Fièvre méditerranéenne en 2023), aborde un sujet brûlant, mais de façon heureusement non frontale : le chaos né du conflit israélo-palestinien. Dans cette ferme isolée, les combats semblent loin, pourtant, et un couple de sexagénaires évoque au cours de ses repas ses cinq enfants, s’ils ont récemment téléphoné, ce qu’ils font présentement, ce qu’ils espèrent pour eux… La réalité, terrible et terrifiante, s’avérera très différente de cet état de fait…
On ne saurait omettre de citer le Prix d’interprétation distinguant l’Islandais Ingvar E. Sigurðsson pour son personnage de père alcoolique et incontrôlable dans O de Rúnar Rúnarsson (photo ci-dessous). Rappelons que ce comédien aux traits anguleux avait déjà été apprécié dans, entre autres, plusieurs longs métrages de Sólveig Anspach, Baltasar Kormákur ou encore Hlynur Pálmason.
Autre comédien longiligne et barbu, Philippe Rebbot a gagné le prix équivalent pour la compétition nationale, grâce à La mort d’un acteur, d’Ambroise Rateau. Très à son aise, l’homme à la casquette apprend dans les médias son propre décès et met ainsi le doigt dans un engrenage plus drolatique que kafkaïen, voyant même un jeune collègue – en l’occurrence Finnegan Oldfield – se voir confier son propre rôle dans un biopic. Une mise en abyme poilante, qui valait bien aussi l’attribution du Prix du rire Fernand-Raynaud.
Ç’aurait sans doute pu être un Prix du public en puissance, mais celui de Clermont est souvent étonnant et a fait porter son choix sur un autre titre, ambitieux et d’un accès qui n’est guère évident : Deux personnes échangeant de la salive (photo ci-dessous). Ce moyen métrage noir et blanc, franco-américain et cosigné de Natalie Musteata et Alexandre Singh, entraîne dans un monde dystopique où tout baiser est prohibé et où bien d’autres bizarreries oppriment l’individu – par exemple payer ses achats en se prenant un certain nombre de baffes comme évaluation de la valeur commerciale du produit. Une attirance naît, dans ce contexte hostile, entre la cliente distinguée d’un grand magasin et une jeune vendeuse, incarnées par les excellentes Zar Amir Ebrahimi et Luana Bàjrami.
Le film sera visible sur Canal+, ayant reçu également le prix de la chaîne cryptée, qui continue de valoriser la recherche et les auteurs, au-delà de son appartenance au groupe Bolloré, copieusement sifflé tout au long du festival à chaque début de séance au moment où était diffusée la bande-annonce des 40 ans de la chaîne, certes très peu adaptée au contexte. Mais rappelons, au-delà de la personnalité de son propriétaire, que le soutien des Programmes courts à la manifestation s’est affirmé depuis l’origine et que l’ampleur du festival y est toujours grandement liée, ce qui reste essentiel en ces temps de restrictions budgétaires imposes par d’autres financements (publics).
Pour revenir à nos moutons, primés de surcroît, il y aura eu une – relative – surprise autour du Grand prix attribué à Généalogie de la violence, de Mohamed Bourouissa (photo ci-dessous), artiste plasticien renommé à l’échelle internationale. Son film fait le récit d’une situation hélas banale, celle d’un contrôle policier plutôt rude que subit un jeune homme français d’origine nord-africaine (Bilel Chegrani), sous les yeux de sa petite amie (Nina Zem), avec qui il converse tranquillement, une nuit, dans sa voiture arrêtée.
Le réalisateur introduit des passages en animation 3D rompant l’aspect conventionnel de la situation, semblant montrer combien le personnage, comme paralysé, sort de son corps pour dépasser ce moment inconfortable et potentiellement périlleux. Du reste, le Prix des effets spéciaux est revenu aussi à cette proposition quelque peu atypique.
En ce qui concerne le Prix spécial du jury, un autre motif très contemporain imprègne la narration. Dans le court franco-canadien Oh Maybe Not Tonight, de Kim Fino, une jeune héroïne prénommée Ennie voyage en solo le long des highways et devient une proie possible pour des hommes pas toujours bien intentionnés. Pourtant, la façon d’empoigner la question du consentement permet d’échapper au pensum, renversant certains clichés dans une belle ambiance, volontiers nocturne, de road-movie.
Plus ensoleillée est l’atmosphère du Diable et la bicyclette, de Sharon Hakim (photo ci-dessous), repartie d’Auvergne avec le Prix étudiant, qui revêt toujours une importance particulière. Le film replonge dans le Liban des années 1990, dans les pas d’une adolescente découvrant le désir dans un contexte pluri-confessionnel s’exprimant au sein même de sa propre famille. Au moment d’effectuer sa profession de foi, elle découvre des rituels d’un tout autre type, grâce aux mouvements de son vélo, et fera beaucoup d’adeptes… Tendre et drôle, ce film délicieusement insolent confirme les qualités déjà manifestées par la réalisatrice dans La grande nuit en 2020.
On ne saurait se passer de l’évocation de la compétition Labo, qui a fait salles combles elle aussi,encore une fois, avec un Grand prix mexicain pour ce millésime, à savoir Aferrado, d’Esteban Azuela et un Prix spécial du jury germano-libanais : La nef des fous d’Alia Haju. L’helvétique Exit Through the Cuckoo’s Nest de Nicolas Ilić, primé en parallèle au Fipadoc, a reçu le Prix du meilleur documentaire et celui de Festivals Connexion.
Quant au public, il a plébiscité l’épatant Ni Dieu ni père de Paul Kermadec (photo ci-dessous), autoproduction pour laquelle le jeune réalisateur a tout fait, à peu près, parvenant patiemment à convaincre une intelligence artificielle à lui servir de figure paternelle en lui faisant leur inventer un passé et des souvenirs communs. D’une rare intelligence (humaine, celle-ci…) et précieux à l’époque où les zélateurs de la start-up nation se pâment devant cette “révolution” technologique posant tout de même quelques questions cruciales, c’est un euphémisme…
Puisqu’on en est à ce chapitre digital, mentionnons enfin le succès de la compétition XR dédiée aux films immersifs, qui avait lieu pour la deuxième année, et le prix obtenu par un 45 minutes anglais, In Pursuit of Repetitive Beats de Darren Emerson, entraînant dans une rave-party s’étant déroulée à Coventry en 1989, en plein dans les années Thatcher.
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