News 09/05/2025

Retour à Oberhausen

Voilà plusieurs années que nous n’avions plus couvert le Festival d’Oberhausen, l’un des plus anciens et des plus importants du Vieux continent. Nous en avons volontiers repris le chemin pour cette édition 2025, qui s’est déroulée du 29 avril au 4 mai.

C’est la contre-programmation idéale avant Cannes : le festival de tous les outsiders. Aux premiers jours du mois de mai, sous un soleil d’acier, se déroulait le Festival international du court métrage d’Oberhausen : un événement dédié aux films courts tournés en dehors de tous les radars. Bourgade de la banlieue de Duisburg, une petite ville elle-même située en périphérie de Düsseldorf ; construite à la fin du XIXe siècle, trempée dans une encre aux couleurs brutes, en rouge et noir, vernis usé de la riche Ruhr allemande hier en pleine activité, Oberhausen fêtait cette année ses soixante-et-onze ans. Une carrière fondée autour des trois piliers majeurs que sont devenus pour elle le cinéma expérimental, le “cinéma d’artistes” et le documentaire ; des productions alternatives nécessairement indépendantes, voire auto-produites.

Après avoir été chahuté à la suite d’un post écrit sur Facebook, Lars Henrik Gass a choisi d’abandonner le navire, laissant à une partie de son équipe et à de nouveaux venus, le soin de construire l’avenir. C’est donc une nouvelle époque qui a commencé autour du duo féminin composé de Susannah Pollheim (secrétaire générale) et de Madeleine Bernstorff (déléguée générale).

La programmation se feuillette au sein d’un catalogue papier pesant presque son kilo. Novice, gare à la labyrinthe-impression ! L’une des affiches, montrant un adolescent les yeux vers le ciel se protégeant de l’éblouissement du soleil d’une main, résume assez bien, en une image, ce qui constitue aujourd’hui les deux grands axes du festival : d’une part, la quête éperdue et romantique d’un l’éblouissement cinématographique et de l’autre, en parallèle, un travail de fond devenu l’une des spécialités des lieux, travailler l’oubli et l’aveuglement collectif et/ou comment les palier, exhumant, réfléchissant miroir en main, toutes sortes d’archives (nous reviendrons d’ailleurs ultérieurement sur le workshop consacré à Shoah de Claude Lanzmann animé par Christoph Hesse).

La compétition internationale comptait une cinquantaine de films. Le Grand prix a été décerné à un joli premier film documentaire kirghize, The Long Way to the Pasture (photo ci-dessus), Ilgiz-Sherniiaz Tursunbek, portrait touchant d’un groupe de bergers de tous âges qui parcourent l’immensité des plaines avec leur troupeau et qui affrontent la colère du ciel, une pluie funeste, ainsi que les réalités du terrain...

À ce documentaire des plaines nous avons mille fois préféré le film iranien Within the Sun, de Sepideh Jameshidi Nejad (photo ci-dessus), portrait d’une femme qui, dans les montagnes, récolte du sel à coup de petite pioche ; un film lumière lumineux, frère de Misère au Borinage d’Henri Storck et Joris Ivens, soit un cinéma politique, ethnographique, transgressif où l’humain – déformé, pittoresque, dépouillé de lui-même, exploité, parfois devenu machine molle – occupe dans un corps à un corps à couper le souffle le centre du cadre.

Du film d’études réalisé en Chine par Hao Zhou, une coproduction allemande et états-unienne, Correct Me If I Am Wrong (photo ci-dessus), avec son personnage de jeune adulte de retour au pays et que sa famille va tenter de soigner, d’exorciser de son homosexualité (mais aussi du fantôme de ce qu’aurait pu être sa sœur si sa mère n’avait pas avorté), se dégage une espèce de comique malaisant dans la veine d’un Elia Suleiman.

The Orange de Seakleng Song (photo de bandeau) interpelle doublement, tant le cinéma cambodgien est rare est précieux. Et tant, également, la douceur de ce film, mais aussi la pente onirique qu’il emprunte, rappellent le meilleur cinéma d’auteur du sud-est asiatique. Des films qui, au fur à mesure qu’ils avancent, ensorcellent et charment, par le mystère qu’ils contiennent, par leur beauté souterraine.

Tourné également à la frontière du réel, l’argentin Nocturne de Sol Muñoz et d’Ana Apontes (photo ci-dessus), nous transporte aux côtés de deux gamines déambulant dans les rues et escaliers de la ville ; une pérégrination sans peur et sans chemin où chacun de leur pas, poésie gavroche, constitue un souffle, une expérience.

Le film russe Crumb (photo ci-dessous) retenait également l’attention. Outre que le cinéma russe est une perle rare sur grand écran, à travers ce portrait d’un orphelin apprenti boulanger, portrait cisaillé de violence et de beauté brute – on pense aux premiers films d’Alan Clark –, la réalisatrice Elena Kulesh, issue de l’école de cinéma de Saint-Pétersbourg, propose une vision, un plongeon assez criant dans les entrailles de la vieille Russie contemporaine.

Le vent de la liberté de pouvoir jouer avec le non-sens, les formes et les sens dans tous les sens, sans obligation, soufflait aussi cette année à Oberhausen d’une bien belle manière. Deux œuvres, selon ce que nous avons pu voir, couraient loin devant. ESP de Laura Kraning, montage d’architecte, film hypnotisant, tout en surimpression de béton, tout en répétition, rayé des fenêtres, traversé de part en part d’horizons biaisés, avec un ou deux immeubles carrés pour protagonistes, pourrait devenir le bonus idéal de The Brutalist de Brady Corbet.

Et Light Fragments de la Japonaise Satomi Asakura (phvisueloto ci-dessous) repose sur une idée folle, à savoir suivre, filmer, rendre compte charnellement des reliefs et des mouvements de la lumière pour jouer avec toutes ses ambiguïtés visuelles. Rappeler que la lumière à avoir avec la vie, le temps, l’espace, la perception du monde n’est sans doute pas inutile. Une œuvre philosophe en totale déconnexion avec l’abrutissement actuel du monde...

Deux mots enfin à propos du cinéma singulier de Suzanna Wallin, toujours une grande inconnue en France, réalisatrice vivant aujourd’hui entre l’Angleterre et la Floride, à qui le festival consacrait un focus. Une obsession du plan, une chorégraphie du montage, une atmosphère aquatique autour glissement et du reflet et une série de motifs humains ou écolos somptueusement cadrés. Un cinéma hypnotique, encore meilleur quand il se savoure au premier rang.

Donald James

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