News 03/12/2024

Rencontre avec Momoko Seto au Carrefour du cinéma d’animation

Comme chaque année, le Carrefour du cinéma d’animation, au Forum des images, proposait un programme faisant la part belle aux multiples facettes du cinéma animé, allant de l’écran d’épingles aux techniques 3D les plus poussées. À cette occasion, les spectateurs parisiens ont pu découvrir des images exclusives de l’un des projets les plus attendus de 2025, le long métrage Planètes dans lequel la réalisatrice Momoko Seto poursuit son fascinant travail de recherche et de création entamé avec la série de ses courts métrages Planète A, Planète Z et Planète Σ.

Ce premier long métrage, dont on espère qu’il fera sa première dans un grand festival du printemps 2025, raconte le voyage de quatre akènes (des graines de pissenlit) ayant été propulsés dans l’espace à la suite de l’explosion de la Terre. À la recherche d’un nouveau territoire où s’implanter, elles parcourent des paysages tour à tour gelés, désertiques ou brûlants, et rencontrent différentes espèces animales et végétales. Si le pari – nous embarquer dans un road trip cosmique en compagnie de graines – semble un peu fou, il l’est également sur le plan artistique, puisque une partie des décors et des personnages sont de véritables végétaux, tandis que différentes sortes d’insectes et de petits animaux sont eux-aussi au casting.

La réalisatrice met également la technologie la plus pointue au service de son projet, qui oscille entre la poésie pure et une réflexion passionnante sur la place du vivant dans nos sociétés contemporaines. Ce faisant, elle défriche des territoires cinématographiques rarement explorés par le long métrage de fiction, et nous promet une expérience absolument inédite. 

Comment écrire une histoire à partir de l’univers de vos courts métrages ?

Importer son univers de courts dans un long métrage est très compliqué. Personnellement, j’ai vraiment eu la chance de travailler avec un scénariste qui est un grand story-teller, Alain Layrac. Moi je viens des Beaux-Arts, du cinéma expérimental ; ce que j’aime, ce sont les films qui n’ont ni queue ni tête. Je m’extasie devant un écran posé par terre dans une galerie… Alain, lui, a écrit des séries pour la télévision, avec des émotions, de la psychologie, tous les ressorts habituels de la fiction. Notre rencontre a donc été géniale, car nous venons de deux univers très différents.

Quel a été le point de départ ?

L’enjeu était que le film nous fasse éprouver de l’émotion. Il ne fallait surtout pas que cela soit juste une succession de beaux paysages. Il fallait qu’on s’attache aux personnages. De mon côté, je savais juste que les akènes devaient quitter la Terre, voyager dans l’espace et trouver une nouvelle planète où allaient se succéder plusieurs écosystèmes. Je savais aussi que certaines graines devaient rester coincées, que les autres allaient les aider… J’avais pensé à quelques moments comme ça. À ce stade, j’avais juste un traitement d’une dizaine de pages, avec mes personnages et les écosystèmes qu’on traverse : l’espace, avec des planctons qui incarnent des étoiles ; un monde complètement gelé avec des icebergs ; un désert réalisé avec des écorces d’arbres… Et puis des animaux-clefs comme des limaces, des têtards, des grenouilles, des mille-pattes.... Je voulais utiliser tout ce qui a trait aux changements climatiques pour faire avancer l’histoire : réchauffement, refroidissement, sécheresse, excès d’humidité… Tous les codes climatiques.

Après avoir travaillé avec Alain, nous avons désormais 70 pages de scénario. Il a ajouté énormément de choses. Par exemple, c’est lui qui a choisi de nommer les graines et de les caractériser. Ça parait évident, mais ça a tout changé. C’était vraiment la clef pour donner de l’émotion à ces graines. Ensuite, il a écrit toute une dramaturgie : il y a une graine qui est coincée, une autre qui va l’aider. Une troisième est plus en osmose avec la nature, parfois elle va jouer avec les plantes autour… Plein d’idées qui permettent au spectateur de suivre les personnages et de s’y attacher.

Comment passer de l’écriture des personnages à leur animation ?

Les personnages des akènes sont entièrement animés en 3D, ce qui nous a donné une grande liberté. Nous avons travaillé avec Guionne Leroy qui a été animatrice sur plusieurs films de chez Pixar, et qui a l’habitude d’animer des non humains. Pour leur créer toute une palette de gestuelles, nous avons fait des tests grandeur nature. Pendant une semaine, nous avons réuni quatre artistes et nous leur avons demandé d’incarner les personnages dans différentes situations. Cela nous a permis d’incarner leur psychologie, de voir comment chacun se comporte par rapport aux autres. Cela a beaucoup inspiré les animateurs pour la gestuelle de chaque graine.

Je suis persuadée que même sans dialogues, on peut comprendre le sentiment de chacun, juste avec le langage corporel. Parfois, on me demande quelle est la part japonaise dans le film. Il y a beaucoup d’éléments, bien sûr, comme l’animisme. Mais ce qui est très important, c’est qu’au Japon, il y a un verbe qui veut dire comprendre le sentiment de l’autre sans qu’il l’exprime. C’est un mot qui est utilisé très couramment. C’est un peu la base du rapport aux autres chez les Japonais. C’est la part japonaise de ces graines : elles s’expriment sans rien dire, et on est obligé de les comprendre.

Justement, quel est leur but profond ? 

Leur but, comme toute graine, c’est de s’implanter. Elles doivent absolument trouver un sol. Nous avons créé toute une chorégraphie pour qu’on comprenne cet enjeu dès le départ. S’il y a une histoire un peu personnelle dans ce film, c’est cette histoire de migration, de déplacement, de recherche de territoire et de sol : trouver un chez soi et s’enraciner, comme ce que font tous les animaux. Parfois, ils n’y arrivent pas. Parfois, ce n’est pas possible. Car il y a un autre enjeu qui a guidé l’histoire, celui du sol.

Aujourd’hui, le sol sur terre est un problème car il est surexploité, gavé de pesticides, etc. Il y a déjà des endroits où il n’est plus ni habitable, ni exploitable. En Chine, par exemple, cela représente 70 à 80% des sols. C’est énorme. C’est en train de devenir un enjeu contemporain majeur, et donc il était important pour moi d’en parler de manière subliminale, par l’intermédiaire des plantes. Dans le film, il y a des sols toxiques, trop secs, surpeuplés, trop marécageux… Avec le chef décorateur, nous avons beaucoup travaillé sur les couleurs et les textures d’argile pour fabriquer des maquettes de sols différentes, et qu’on comprenne que cet enjeu d’implantation n’est pas si évident. Cela faisait aussi partie de l’écriture du film.

La question environnementale est omniprésente dans le film…

Pour moi, l’enjeu écologique est plus inspirant que militant. Il est plus dans l’envie d’écriture et de fabrication des images que dans une forme de message. Planètes n’est pas un film “écologique” au sens militant du terme, dans la mesure où je suis une artiste, pas une politicienne, ni une militante, ni une journaliste. Ce qui pour moi est une forme d’acte militant, si on veut cocher cette case-là, c’est de donner à vivre et à sentir comme les graines. Et ensuite, c’est à chaque spectateur de jouer. Tout ce que je peux faire, c’est offrir une expérience esthétique, qui bien évidemment se nourrit des questions qui me traversent - et qui traversent beaucoup de gens. Mais je trouve que le cinéma est très en retard sur les questions environnementales. Trop souvent, c’est encore de la “science-fiction climatique” : les insectes vont nous envahir, une tempête de sable va tout recouvrir, etc. Ça fait très longtemps que les savants nous mettent en garde contre le fait de séparer culture et nature, de mettre l’humain au-dessus de la nature, d’utiliser la nature comme un instrument… Et pourtant, dans le cinéma de fiction, c’est comme si ce lien entre tous les êtres vivants n’existait pas.

Vous avez dû mobiliser énormément de techniques et de registres d’images différents pour réaliser le film. Comment tout faire tenir ensemble ?

Une fois le scénario écrit, nous avons passé deux mois à réaliser un découpage technique organisé par éléments dans l’image : les timelapse, les décors extérieurs, les personnages…

D’abord, nous avons tourné en Islande, uniquement au drone, pour capter les paysages naturels. Ces paysages servent en quelque sorte de base pour les plans larges. Ensuite, nous avons passé neuf mois en Bourgogne, où nous avons réalisé une vingtaine de maquettes avec des plantes vivantes (des mousses, des plantes grimpantes, des plantes grasses, des lichens ), en collaboration avec une botaniste qui nous conseillait. Là, on avait un plan de travail très compliqué, avec dix-sept appareils photos qui tournaient d’une maquette à une autre pour faire du timelapse, selon des angles très précis en fonction des plans.

Nous avons inventé un bras robot pour faire des mouvements de caméra qui soient dans la dynamique des akènes. Pas très loin de là, nous avions le tournage slow motion : insectes, effets spéciaux, explosions… Bien sûr, ce n’était pas la même optique d’un plan à un autre, selon si l’on voulait un gros plan ou un plan plus large… C’était d’une complication folle, et nous étions seulement quatre pour gérer tout cela.

En plus, il fallait tenir compte de la vitesse de pousse des plantes !

Exactement ! Je voulais que tout soit lié à la saisonnalité, donc le tournage des pissenlits a eu lieu en avril-mai, le tournage des têtards en mars-avril, les champignons en août-septembre… Pour ne pas avoir à utiliser des énergies supplémentaires pour faire pousser les plantes de manière artificielle. C’était millimétré, il ne fallait pas louper le coche. Et nous avons découvert le grand secret du pissenlit : il ne pousse pas devant une caméra. On peut le couper et le mettre dans un verre, il va pousser. Mais dès qu’il y a une caméra, non, il ne pousse plus. Allez savoir pourquoi…

Vous avez également tourné au Japon ?

Oui, pendant trois mois, pour avoir quelques “stars” du Pacifique, comme des calamars-lucioles que l’on ne trouve que dans les baies là-bas. Il y a aussi une plante toute blanche qui ne fait plus de photosynthèse et qui semble avoir une grosse capuche blanche sur la tête, devant ce qui semble un œil énorme. Dans le film, ce sont des sortes de pénitentes. Il a fallu aller les filmer dans la forêt car il n’est pas possible de les cultiver en dehors de leur milieu naturel. On les a filmées sur un fond bleu pour pouvoir ensuite les incruster dans les maquettes. 

Vous avez commencé la post production en septembre 2023, c’est un travail colossal de réunir ces différents registres d’images pour composer le film au final…

En tout, cela représente 730 plans qui comportent cinq “couches” d’images différentes, plus les personnages incrustés. Chaque plan est un challenge. Mais ce qui me plaît, c’est que la technologie est entièrement au service des images réelles. C’est très high-tech, mais ce n’est pas ce qu’on verra à l’écran à la fin. Le film est une ode à la nature, et la technologie est uniquement là pour qu’on puisse mieux voir les êtres les plus fragiles qui sont les vraies stars du films. 

Propos recueillis par Marie-Pauline Mollaret

À lire aussi :

- Une rencontre avec Sophie Roze au Festival Cinéfil.

- Le conte des contes de Youri Norstein de retour au cinéma.