News 24/11/2024

Rencontre carolomacérienne avec Sophie Roze

Invitée tout récemment du festival Cinéfil de Charleville-Mézières, où elle a présenté son dernier film Une guitare à la mer, Sophie Roze y a répondu aux questions de notre envoyée spéciale !

Réalisatrice de courts métrages à l’univers singulier (Les escargots de Joseph, L’oiseau cachalot), impliquée également dans de très beaux projets de longs (on verra bientôt Le secret des mésanges d’Antoine Lanciaux pour lequel elle est autrice graphique, mais elle a également travaillé en tant qu’animatrice sur Interdit aux chiens et aux Italiens d’Alain Ughetto ou encore Wardi de Mats Grorud), Sophie Roze était l’une des invitées du festival Cinéfil de Charleville-Mézières où elle a présenté son dernier film, le merveilleux Une guitare à la mer, doublement récompensé à Annecy en juin dernier. Accompagnée de ses personnages (une fouine, un hérisson, un capybara…), la réalisatrice a animé plusieurs ateliers et rencontres dans lesquelles transparaissait son amour pour les marionnettes et la forme d’animation qui leur donne littéralement vie.

Rencontre à l’issue d’une journée marathon, avant de découvrir le film le 5 février prochain dans un programme qui comptera aussi Les bottes de la nuit, le dernier court métrage en date de Pierre-Luc Granjon, réalisé sur l’Épinette du CNC, soit l’écran d’épingles Alexeïeff & Parker, et L’arrivée des capybaras d’Alfredo Soderguit. 

 

Quel est votre rapport aux marionnettes ?

Je suis venue à l’animation par les marionnettes. Lorsque j’étais adolescente, j’aimais déjà construire de petits personnages dans leurs univers. J’ai dû faire mes premiers essais d’animation vers seize ou dix-sept ans, d’abord avec un caméscope, puis avec une caméra Super-8. On peut vraiment dire que mon premier amour de stop-motion, c’est la marionnette ! Ce que j’aime, c’est que ça se rapproche beaucoup du cinéma en prise de vue continue : on est vraiment dans l’espace, il faut mettre en place une caméra, travailler des cadrages, régler les lumières… J’ai l’impression de faire du cinéma en miniature et ça me fascine.

Et puis, cette dimension palpable de la marionnette reste fascinante pour le public. Je le vois dans les yeux des spectateurs. Quand après la projection, je leur montre la petite marionnette qui a servi à faire le film, l’émerveillement reste très fort. Je pense que c’est la même chose face à un spectacle de marionnettes. On est capté par ces petits êtres qui sont factices. Il y a un rapport au concret qui est là, et qui nous procure des émotions très fortes. J’ai du mal à expliquer d’où ça vient, mais j’ai l’impression que c’est la même émotion depuis le début. Que ce soit en spectacle vivant ou en film, on oublie la technique et on se laisse embarquer.

D’où vous vient ce goût ?

J’ai toujours été très attirée par la fabrication de personnages. Je n’ai pas vu beaucoup de spectacles de marionnettes quand j’étais petite ; par contre, j’ai vu des films d’animation. J’ai commencé mes premières expérimentations au milieu des années 1990 et à ce moment-là, j’ai découvert les premiers films de Nick Park, les Wallace et Gromit… Cette technique m’a fascinée, et ça a été un gros déclencheur. Après, un ami m’a fait découvrir Jan Svankmajer. Assez vite, j’ai vu qu’on pouvait raconter des histoires complètement surréalistes et jouer avec la matière. Plus tard, il y a aussi eu la découverte des papiers découpés avec Youri Norstein. J’ai pu voir la très belle exposition qui a eu lieu à Paris en 2001, et là aussi ça a été un vrai choc artistique de découvrir l’univers graphique de ses films, qui a beaucoup été fait par sa femme, Franceska Yarbousova, d’ailleurs.

Quel est votre processus de création ?

Dès l’écriture, j’ai vraiment besoin de passer par la fabrication des personnages. Assez vite, il est important de faire des recherches graphiques, surtout en marionnettes. C’est important de montrer très tôt, notamment dans les dossiers, comment cela va rendre. Et puis j’ai l’impression que lorsque je fabrique des marionnettes, je suis dans un état presque méditatif et ça peut aussi me débloquer. La matière elle-même peut faire arriver les idées. Parfois, je pense à une forme, par exemple la tête d’un personnage, mais en la modelant, autre chose arrive, et je décide de le garder. C’est vraiment ce qui s’est passé pour Les escargots de Joseph : la marionnette s’est imposée (visuel ci-dessous). Ça a été tout de suite cette version-là, et je n’ai pas changé.

C’est la même chose pour Une guitare à la mer. La première petite fouine que j’ai faite ressemble beaucoup à celle que l’on voit dans le film. Parce que je cherche en modelant. Ça se rapproche pour moi du fait de faire du dessin. C’est juste que ce sont mes doigts qui cherchent les formes. J’aime beaucoup cette sensation. Souvent, quand je fais mes premiers prototypes, je les laisse sur mon bureau, ils sont là, et même si je ne suis plus en train de modeler, je les ai tout le temps sous le nez,  j’en ai besoin. Il y a comme un dialogue inconscient qui se crée entre nous. Pour les décors, je ne fais pas de recherches à l’échelle des personnages, ce serait trop grand, je n’ai pas la place dans l’atelier ! Mais je fais quand même des petites maquettes et puis je me fabrique un petit cadre de caméra en papier et je me balade dans ces mini-décors pour chercher des axes de caméra et des points de vue.

 

Ce sont, pour une large part, les personnages qui vous guident tout au long du processus…

Pour moi, les personnages sont la clé d’un film. Une guitare à la mer, ce n’est pas une histoire à rebondissements avec une grosse aventure. C’est plus une rencontre de personnages, et je voulais qu’ils existent dans toute leur complexité, qu’ils aient plein de petites altérités, de petites choses qui font qu’on a vraiment l’impression qu’ils existent. Je m’aperçois que dans les films en prise de vues réelles qui me touchent, ce sont vraiment ceux où les personnages sont incarnés. Au-delà de l’histoire et du scénario. Bien sûr, c’est important d’avoir un scénario bien écrit et bien rythmé, mais s’il n’est pas habité par de vrais personnages, je reste convaincue que le spectateur n’est pas complètement en immersion dans le film. Donc je passe beaucoup de temps à travailler mes personnages et à voir comment ils interagissent entre eux, et la manière dont ils tissent un lien. 

La musique joue aussi un rôle très important dans Une guitare à la mer

J’avais vraiment envie de faire un film qui célèbre la musique : c’est grâce à elle que les personnages se rencontrent, et c’est elle qui les rassemble. C’est aussi pour cela que la guitare est présente dès le titre du film. Elle relie tous les personnages et devient elle-même un personnage de l’histoire. J’aimais bien l’idée que ce soit un instrument simple et populaire qui peut voyager – même si là elle voyage beaucoup, elle traverse la mer… Ce n’est pas très réaliste, mais ça rejoint l’idée qu’une guitare, c’est un instrument qu’on peut trimballer partout.

Je joue moi-même de la guitare, et j’étais en train de travailler un air populaire argentin, une milonga. Très vite, j’ai eu envie de mettre ce morceau dans le film. Comme c’est une musique qui vient d’Amérique latine, j’ai décidé de faire aussi venir des animaux de là-bas, et c’est comme ça que j’ai eu l’idée du coati et du capybara qui traversent l’océan, avec des instruments emblématiques comme la guitare et le bandonéon.

Est-ce que, parfois, les marionnettes vous donnent du fil à retordre ?

On est parfois confronté à leurs limites, car elles en ont… Il y a des actions qu’il faut repenser en fonction de la faisabilité de l’animation. Par exemple, j’avais imaginé une scène où la fouine sort du tas de cailloux, comme si elle retrouvait un côté très animal. Mais c’était tellement compliqué à animer qu’on l’a coupé. Elle finit juste le mouvement… C’est sûr que ça aurait été joli, mais ça n’apportait pas grand chose à l’histoire, donc je n’ai eu pas de problème à l’enlever. De la même manière, le hérisson devait se mettre en boule à plusieurs reprises, ça fait partie de son personnage de trouillard.

Mais techniquement, ça nous a obligé à trouver des astuces. C’est quelque chose que j’aime beaucoup dans la stop-motion, le fait d’avoir perpétuellement de petits défis à résoudre… Et ce ne sont jamais les mêmes, il y a toujours de nouvelles choses à expérimenter. Finalement, il a fallu trois hérissons pour qu’il se mette en boule : d’abord le personnage sous sa forme habituelle, ensuite, sur quelques phases, un hérisson tout mou qu’on a quasiment pu faire se recroqueviller sur lui-même, et enfin une boule de poils qu’on a substitué au deuxième hérisson. Ces trois étapes ont permis de réussir la séquence, sans que l’on voie qu’il y a trois marionnettes différentes. Et ça, c’était magique à expérimenter.

Propos recueillis par Marie-Pauline Mollaret

À lire aussi :

- Katrin Rothe, invitée d’honneur du festival Cinéfil 2024.

- Rencontre avec Pierre-Luc Granjon, à propos de Wardi.