Le conte des contes sur grand écran
Ce classique absolu du cinéma d’animation, signé Youri Norstein, fera son retour au cinéma dans une belle version restaurée, grâce à Malavida Films, à partir du mercredi 4 décembre. C’est une pure splendeur, est-il encore besoin de le préciser ?
Aujourd’hui, en 2024, Youri Norstein a quatre-vingt trois ans. L’équipe de Malavida Films, qui distribue en France à partir du 4 décembre le programme Le conte des contes, sait peut-être où il est et ce qu’il fait, mais nous l’ignorons de notre côté, tout comme ce qu’il peut penser de ce qui arrive à son pays depuis quelques années et du joug poutinien. Ceci énoncé d’emblée pour faire abstraction de la nationalité de ce grand artiste, qui ne doit nullement interférer pour permettre de se concentrer sur son œuvre. Sa grande œuvre…
Le conte des contes (visuels de bandeau et ci-dessus), donc, est un véritable monument de l’histoire du cinéma d’animation mondial, dont le titre même en impose, un peu comme Le cantique des cantiques. Il a été élu du reste meilleur dessin animé de tous les temps lors des Olympiades de l’animation organisées à l’occasion des J.O. de Los Angeles en 1984 – en parallèle des médailles de Carl Lewis, autre légende.
Qu’écrire qui ne l’aurait pas encore été au sujet de cette promenade mentale dans la mémoire humaine, pour une projection existentielle, sinon métaphysique, avec comme médiateur keatonien ce petit loup gris issu du patrimoine de contes et berceuses traditionnels russes, qui aura marqué des générations de spectateurs. Un parfum d’éternité, sur des notes de Bach et Mozart, avec ses clair-obscurs d’une renversante beauté, comme lorsque le petit loup maintient la flamme en soufflant sur les braises. Sublime…
Le hérisson dans le brouillard (visuel ci-dessus), qui conclut cette enchanteresse heure de projection, l’est tout autant. Lui a également été élu meilleur film d’animation de tous les temps, mais en 2003 et par un collège de 140 critiques et réalisateurs de tous les continents. Il se pose là, donc, et apparaît comme un autre conte philosophique, sur l’amitié et sur l’humanité au sens large, même si ses protagonistes sont un hérisson (un peu timide) et un ourson (plutôt joufflu). “Comme c’est bien que nous soyons enfin réunis”, pense le petit héros à piquants sur le dernier plan, en contemplant les étoiles. Quel plus beau rêve de vie pourrait-on bien entretenir ?
Signalons au passage que ce petit personnage s’est aussi fait une place privilégiée dans le cœur des amateurs d’animation, et les jeunes cinéastes Marion Lacourt et Adrien Mérigeau le citaient spontanément comme étant leur préféré dans le numéro 126 de Bref, en 2021.
La palette des sentiments explorés par Norstein s’enrichit aussi à la faveur de la légèreté et la drôlerie du marivaudage du Héron et la cigogne (visuel ci-dessus), antérieur aux deux autres et portant à un haut point de maestria la technique des papiers découpés. Comme nous avons eu la chance de proposer ce film à nos abonné(e)s en 2021, au moment des 60 ans du Festival d’Annecy, nous renvoyons à la critique alors publiée, signée Mathieu Lericq, grand spécialiste des cinémas de l’Est.
Enfin, revenons sur le film qui ouvre le programme, La bataille de Kerjenets (visuel ci-dessus),que Norstein coréalisa avec Ivan Ivanov-Vano en 1971, en pleine période de règne de Brejnev, donc dans le dur de l’ère soviétique. Ces dix minutes montrent une guerre soudaine et brutale menée contre un peuple voisin, à savoir les Tatares, avec des plans citant le totémique Alexandre Nevski d’Eisenstein, un maître admiré de Norstein, et au rythme d’une partition de Rimski-Korsakov. C’est très puissant et ça évoque forcément un autre conflit et d’autres violences, ici et maintenant, comme pour souligner encore davantage le caractère visionnaire de cette œuvre dont l’intégralité représente moins de deux heures de création, il est tout sauf anodin de le rappeler.
Visuels : © Malavida SMF.TDR.
À lire aussi :
- Sur la sortie par Malavida d’un autre programme avec un film de Norstein, en mars 2024 : L’antilope d’or, la renarde et le lièvre.
- Sur un autre hérisson, celui de Sophie Roze dans Une guitare à la mer : rencontre avec la réalisatrice.