Raconte-moi… le travail au Groupe Ouest !
Brefcinema a eu le privilège de s’immiscer dans une journée de travail de la session de juin du programme international du Groupe Ouest LIM (Less is More). Petit compte-rendu de l’ambiance studieuse et fertile qui règne dans ce coin de côte bretonne…
Le Groupe Ouest est une résidence d’écriture située dans le Finistère, non loin des grandes plages de sable et des champs maraîchers qui composent le paysage de ce coin de Bretagne. Les serres y abritent des cultures de tomates et l’ancienne gare de Plounéour-Brignogan une pépinière d’autrices et d’auteurs. La session qui occupait cette fin du mois de juin réunissait dix-sept réalisatrices et réalisateurs du programme LIM (Less Is More) venus de toute l’Europe (dont un auteur français), et même d’Ukraine – l’urgence de raconter y est grande, mais seules les autrices ont pu venir en Bretagne, les hommes ne pouvant quitter leur pays.
L’objectif commun de ces participants est de réfléchir et de travailler sur le scénario de leur premier, second ou troisième long métrage, accompagné par des scénaristes chevronnés. La première rencontre a eu lieu début mars et une dernière se tiendra en octobre avec des consultations à distance entretemps. Presque neuf mois donc, ce qui n’est sans doute pas un hasard – en tous cas une durée qui permet à un travail de longue haleine de se mettre en place, laissant le temps aux auteurs et autrices de semer, apprécier ce qui émerge et tailler à nouveau.
Pour donner à voir l’histoire en friche, les participants sont invités à utiliser différents moyens – par exemple un board où photos, mots-clés, dessins, schémas sont juxtaposés pour faire émerger les image ou liens parfois inconscients dont les récits sont issus. Ils expérimentent également une timeline composée de multiples post-it, sur laquelle se superposent des calques où sont dessinées les courbes des émotions principales que traversent les personnages – selon les projets : joie, tristesse, solitude, culpabilité, angoisse… Et en place de serpe ou de houe, la parole est l’outil principal pour faire évoluer les histoires.
Celle-ci circule dans des groupes de travail à géométrie variable pour varier les approches dans une logique d’entraide entre pairs. Antoine Le Bos, fondateur et co-directeur du Groupe Ouest, décrit ce travail dialectique en trois moments – les échanges individuels avec le binôme de scénaristes consultants (et non en face-à-face avec un interlocuteur unique, pour éviter une configuration “maître-élève”), l’entraide au sein d’un groupe de quatre participants sur chacun des scénarios à tour de rôle ou “writing room”, et enfin le moment où l’on teste son histoire de façon plus collective. Pour ce dernier temps justement, chacun et chacune doivent se filmer en train de raconter cette histoire en cinq minutes environ, sans coupure et sans notes.
Après un petit échauffement dehors pour engager tout le corps dans la réflexion à venir, c’est justement à cet exercice sobrement intitulé “raconte-moi”, ou “tell me” – la langue utilisée étant l’anglais – que la dernière journée de cette seconde session est consacrée. Tous regardent la vidéo puis sont invités à prendre la parole sur les aspects du scénario qui leur semblent le plus pertinent de continuer à explorer. L’objectif de cette expérience est de remettre en jeu le récit oralement, manière d’habiter physiquement son histoire, et de donner à voir le voyage intérieur qu’elle suscite.
Si l’ambition est de créer une méthodologie pour accompagner les auteurs et autrices, la dimension de laboratoire est fondamentale dans ce lieu “pensé par des auteurs pour des auteurs”. La diversité est donc importante, qu’il s’agisse de celle des nationalités, des parcours de vie, des projets cinématographiques, mais aussi des outils qui sont proposés. Concernant ces derniers, chacun peut ainsi trouver celui qui lui convient, avec la possibilité de les renouveler selon les intervenants, le bénéfice des expériences précédentes ou encore l’apport des sciences cognitives.
Antoine Le Bos reprend la métaphore organique du rhizome proposée par Gilles Deleuze et Félix Guattari pour décrire un système de pensée se développant de manière horizontale, sans hiérarchie, comme l’image forte qui guide ces expériences. Nous ne sommes donc pas si loin des pommes de terre qui poussent aux alentours… comme elles, les scénarios seront sans doute meilleurs s’ils ne se développent pas hors-sol, mais profondément en lien avec la matière qui les nourrit – qu’il s’agisse de terre pour les légumes, de désir et d’inconscient pour les histoires –, si le temps nécessaire à la maturation des unes et des autres est respectée, et si les “mauvaises herbes” qui poussent autour ne sont pas systématiquement annihilées, mais prises en compte dans le processus de création…
Photos : © Brigitte Bouillot / LIM|Less is More.
Remerciements à Dany de Seille et Maïna Le Gars.
À voir aussi :
- Tigre, de Delphine Deloget, passée par le Groupe Ouest pour le projet de Rien à perdre (sortie le 8 novembre prochain).
À lire aussi :
- La nouvelle saison de Quartiers lointains.