News 28/06/2023

“Quartiers lointains” lance sa septième saison

Ce programme itinérant de courts métrages créé il y a dix ans connaît une nouvelle édition et Brefcinema en est partenaire. Sa saison #7, qui comprend quatre films sous le titre générique de “Métamorphose(s)”, a été lancée, en la présence de sa marraine Alice Diop, le 8 juin dernier au Centre Pompidou à Paris.

Depuis 2013, la journaliste et programmatrice Claire Diao met à l’honneur les films produits par des membres des diasporas africaines et des communautés afro-descendantes. Chaque année, à travers un programme itinérant de courts métrages, Quartiers lointains entend promouvoir des films de grande qualité, souvent méconnus, dont le contenu permet de rompre avec des clichés éculés, mais repris dans la sphère politique à propos de réalités pourtant très complexes (l’islam, la banlieue, l’immigration, etc.).

Le cinéma en tant que laboratoire des désirs profonds, des angoisses intimes, des relations humaines les plus troubles, est l’un des espaces d’expression de cette complexité. Le 8 juin 2023 au Centre Pompidou, “Quartiers lointains” célébrait ses dix d’existence et lançait sa nouvelle saison, en présence de trois cinéastes et de la marraine de la saison, Alice Diop. L’occasion de découvrir des œuvres passionnantes qui, chacune à leur manière, interrogent la thématique de la septième saison : “Métamorphose(s)”.

Documentaire réalisé à la Fémis en 2021, Terre d’ombres (photo ci-dessus) évoque par exemple les dynamiques mémorielles issues des relations historiques entre la France et l’Algérie. La réalisatrice Fatima Kaci, présente lors de la projection, a évoqué les prémices du projet : “Tout est parti d’une absence de traces. Je suis française d’origine algérienne. Mon père est arrivé en France dans les années 1960. Il est mort alors que je n’avais que quatre ans. Je savais très peu de choses sur son histoire. Ce manque de récits, je ne suis pas la seule à en faire l’expérience. Cela tient évidemment aux trajectoires d’exil, aux ruptures avec la terre d’origine. Un peu par hasard, un jour, je suis tombée sur l’histoire de l’hôpital franco-musulman de Bobigny. En m’y rendant, j’ai découvert qu’à côté existait un cimetière, qui date de l’époque coloniale. J’ai trouvé cet endroit étonnant. Le film est né de cette découverte et de ma soif de combler certains vides.”

Filmer un cimetière isolé et les personnes qui le peuplent pour mieux interroger l’isolement d’une mémoire étrangement remuante, tel est le pari de la jeune cinéaste, laquelle vient d’ailleurs de terminer un nouveau film, de fiction cette fois-ci : La voix des autres (2023). Ce dernier interroge les procédures de demande d’asile à travers le regard d’une traductrice d’origine tunisienne.

Si la métamorphose tient à une réinvention personnelle au contact des générations qui nous ont précédées, elle peut aussi être la conséquence d’une mise au monde. Donner naissance à un enfant engage à s’interroger sur soi, sur ses origines. Fan Sissoko, la réalisatrice du film d’animation On the surface (2021, visuel ci-dessus), relie ainsi la question de la maternité à une quête de sens, comme elle l’a affirmé elle-même : “Le film est écrit comme une lettre à ma fille. Quand ma fille est née, je me suis posée beaucoup de questions, grandement liées au fait que je suis française, mon père malien, ma fille à moitié islandaise. Comment transmettre à ma progéniture le sens d’une appartenance à une terre, à un pays, sans que je n’aie moi-même pas eu ce sens ? J’ai toujours l’impression d’être chez moi nulle part. Je voulais faire un film qui touche à deux problématiques entremêlées : celle d’être mère et celle d’être immigrée. Dans les deux cas on perd un peu son identité et on doit se recomposer.”

La dimension mélancolique de la quête existentielle trouve une tonalité carrément tragique dans Bulles d’air (2018, photo ci-dessous), fiction de Daouda Diakhaté évoquant le désespoir d’un trentenaire en prise avec d’intenses troubles psychiques.

Anansi (2022, photo de bandeau), que l’on pourrait qualifier de film-chrysalide, est certainement la révélation de ce programme. Réalisé par Aude N’Gussan Forget, il dresse le portrait fictionnel d’une jeune femme à la recherche d’une vérité médicale jusque-là informulée : Eden souffre de douleurs dont les médecins ne trouvent pas la source. Faisant du malaise l’objet d’un partage, révélant par là même l’existence d’une sororité aussi piquante que bienveillante, le film donne lieu à d’extraordinaires séquences se déroulant dans le salon de coiffure où travaille la jeune femme, moments d’une puissance et d’une authenticité rares.

La cinéaste a d’ailleurs insisté sur l’ancrage réel de la fiction : “Le film est très lié à une expérience que j’ai vécue, celle de se présenter à un docteur qui refuse de considérer la souffrance dont on dit être porteuse. Les diagnostics ne révèlent rien et on se sent un peu folle. Quand j’ai su ce que j’avais comme problème, à savoir l’endométriose, cela a sonné comme une libération. Mon film part de là. Mais l’idée était aussi de filmer les femmes, les femmes noires. Je voulais entrer dans leur quotidien, et le quotidien plus précisément de cette jeune femme. Être au plus proche de ses émotions, de ce qu’elle ressent.” Le sentiment de libération s’incarne dans un ultime trajet en scooter, la force émotionnelle révélant l’extrême fragilité de l’existence.

Pendant le débat au Centre Pompidou, la cinéaste Alice Diop a souligné la valeur de “Quartiers lointains” en ce qui concerne le travail de programmation, en particulier à l’endroit des jeunes femmes cinéastes : “Je suis heureuse de voir une générations de femmes s’emparer du cinéma comme moyen d’expression”, a-t-elle confié. On peut pointer, en outre, le profond intérêt que représente cette programmation dans un contexte où les problématiques dites “identitaires” mènent à des impasses idéologiques.

Chaque film vient a contrario prendre le pouls humain de groupes sociaux trop souvent caricaturés, redonnant ainsi une signification positive et éthique au concept de communauté. Les comportements ne se voient plus définis ou jugés depuis une extériorité affadissante, mais s’avèrent abordés dans leur intériorité spécifique, d’une richesse exceptionnelle. Ces films, tout en permettant de toucher à la diversité culturelle qui compose la société française, viennent créer des points d’identification multiples et possibles.

La prochaine projection de “Quartiers lointains” aura lieu le samedi 1er juillet 2023 à 20h30 au cinéma L'Écran de Saint-Denis, suivant une rétrospective des saisons 3 à 6, à 11h, 14h, 16h et 18h, en entrée libre.

Mathieu Lericq

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