Extrait
Partager sur facebook Partager sur twitter

Tigre

J-19

Delphine Deloget

2018 - 22 minutes

France - Fiction

Production : Unité

synopsis

Sabine et Natacha ont 22 ans. Elles vivent “ici”, dans un trou paumé l’une en face de l’autre. Un jour, Natacha a une opportunité : partir “là-bas” et laisser Sabine, seule “ici”. La trahison lui sera fatale.

Delphine Deloget

Née en 1975 à Paimpol (Côtes-d'Armor), Delphine Deloget est réalisatrice et monteuse. Après le bac, elle a obtenu une maîtrise d'Histoire et un DESS de réalisation documentaire. Sur ce terrain, ses films ont été sélectionnés et primés dans de nombreux festivals, tant en France qu'à l’étranger (Pesaro en Italie, Visions du réel à Nyon en Suisse, New York, Doclisboa au Portugal, etc.). Citons Qui se souvient de Minik ? (2003), Sacré père Noël (2005) ou encore No London Today (2008).

En 2015, elle est lauréate du Prix Albert-Londres et du Prix de l’œuvre de l’année décerné par la Scam pour son long métrage documentaire Voyage en Barbarie, consacré aux migrants érythréens fuyant leur pays.

Delphine Deloget travaille également en parallèle sur des projets de fictions et ses deux court métrages – Le père Noël et le cowboy (2012) et Tigre (2019) – ont obtenu le Prix de qualité du CNC. Le dernier a été sélectionné et primé dans divers festivals (Prix Canal+ au Festival de Clermont-Ferrand, Prix du meilleur court métrage au Festival de cinéma de Moscou, Berlinale 2019...).

Son premier long métrage de fiction, Rien à perdre, est sélectionné en 2023 au Festival de Cannes, dans la section officielle Un certain regard, avant d'être distribué au cinéma le 22 novembre de la même année. Se déroulant à Brest, il réunit notamment Virginie Efira, Félix Lefebvre, Arieh Worthalter et Mathieu Demy.

Critique

À la manière de tous ces films qui s’ouvrent sur de lentes vues aériennes au cœur de forêts sombres dont le fond musical inquiétant annonce un drame à venir, Tigre nous rappelle un certain Massacre (de Maïté Sonnet, ndlr), et propage avec une pointe de nonchalance cette même fumée vénéneuse, garante d’un sentiment volcanique d’injustice et de fureur qui gronde à l’intérieur jusqu’à jaillir enfin.

Au plus près des habitudes des jeunes adultes qu’abrite une petite communauté rurale, Delphine Deloget pose son décor, portrait sobre dédié aux façades un peu grisonnantes de quelques pavillons de campagne, qui a défaut d’être très lumineux convoque comme une évidence les détails invisibles d’un quotidien populaire. Des maisons et des haies, des espaces déserts, un job alimentaire pas passionnant dans les vapeurs des pesticides : Sabine et Natacha tuent le temps et l’ennui dans leur complicité provocatrice et trouvent leur liberté à bord du véhicule qui leur permet de quitter le quartier. Mention spéciale aux jeunes actrices dont l’air tantôt moqueur tantôt renfrogné donne au duo une présence remarquable, à la fois enfantine et désabusée.

Les deux copines partagent tout. De la rue au voisinage, des bières à l’haleine, des sandwichs aux ronds-points, en passant par cette scène liminaire surprenante où leurs deux corps côte à côte sont secoués en cadence par la molle vigueur de deux mufles grossiers. Déjà ambivalent, Tigre exploite le lien fusionnel subtilement unilatéral et laisse paraître en filigrane le caractère toxique de cette proximité un peu crue qui les unit tant qu’elle menace de les éloigner.

Deux mondes semblent ici en perpétuelle compétition. D’un côté ce qu’elles ont toujours connu, qui, il faut l’admettre, prend pour servir la narration les allures d’un trou paumé à l’ambiance maussade et au triste ciel blanc des jours humides ; de l’autre la perspective d’une vie nouvelle. De l’“ici”, l’une semble satisfaite. Son petit bonheur est là, sa voiture, sa autonomie, mais Natacha rêve d’ailleurs. Le court change de registre lorsque Sabine apprend à l’improviste que son amie cherche à quitter le village. Les longs plans qui suivent sont ceux de l’attente, ceux du doute, ceux d’un univers qui se délite devant cette annonce au goût d’abandon, mais aussi les prémices habiles d’une colère latente, habilement contenue par la réalisatrice dans les propos dérisoires qu’échangent deux femmes autour d’un goûter.

Après le calme feint et les questions rhétoriques, Tigre se prépare à bondir. Et si l’inévitable confrontation éclaire l’ambiguïté du titre, les échanges sont féroces. Alors qu’on lui évoque une traîtrise, voire même une infidélité, les mots de Natacha brûlent d’un mépris jamais soupçonné dans le rejet, assez brutal, de celle qui lui rappelle l’origine modeste dont elle semble vouloir soudain se délester. La profonde humiliation que laissent entrevoir les réponses de Sabine qui, penaude et assoiffée de remords, mendie presque un instant son bon droit de visite, développe à la fois crainte et compassion chez un spectateur en apnée. Bien maligne empathie que celle qui s’envole aussitôt, tirant le rideau sur la sentence des plus cruelles qu’on avait oublié d’attendre. Si la caméra vous endort, gardez un œil sur les bourreaux.

Marie Labalette

Réalisation : Delphine Deloget. Scénario : Delphine Deloget, Anne-Claire Jaulin et Stéphane Corréa. Image : Augustin Barbaroux. Montage : Delphine Deloget et Nathan Delannoy. Son : Pablo Salaün et Thomas Van Pottelberge. Musique originale : Christophe Rodomosto. Interprétation : Ambre Grouwels, Liv Henneguier, Igor Kovalsky et Léo Prunier. Production : Unité.

À retrouver dans

Thématiques

Bonus

Rencontre avec Delphine Deloget