News 26/06/2025

Quelques courts magistraux à Annecy, millésime 2025

Les compétitions de courts métrages sont toujours importantes dans la propositions globale – et très suivies – au Festival du film d’animation. L’édition 2025 n’a pas été avare d’œuvres captivantes, signées pour certaines de grands noms du secteur, mais aussi de débutant(e)s.

Trois fois primé à Annecy (Cristal du court métrage, Prix du public et Prix André-Martin du court métrage), Les bottes de la nuit de Pierre-Luc Granjon (visuel ci-dessous) voit son auteur ainsi récompensé, tout à la fois pour son parcours et pour ce film en particulier, qui a été confectionné sur le mythique écran d’épingles, technique animée au degré de noblesse sans doute le plus haut, et qui constitue une réussite absolue.

On retrouve spontanément l’univers très personnel de l’artiste, avec cette faculté à se fondre dans l’imaginaire de l’enfance et à y inscrire un récit ne s’adressant pas seulement aux plus jeunes – mais les incluant largement, bien entendu… Une belle histoire d’amitié se tricote ainsi, prenant ses distances avec le motif des peurs surgissant au plus jeune âge, présent au départ de la narration, pour mieux explorer tout le champ du possible des rêves, infinis dans les vertes années de chacun(e). Certains plans sont d’une beauté inouïe, saisissant simplement un hibou ou des nuages, et le monstre mis en scène est vraiment inoubliable.

Autre grand nom français du secteur, Bruno Collet se devait de rebondir après l’ample succès, sinon le triomphe de Mémorable, en 2019, et il a naturellement choisi de s’éloigner des thématiques de ce film en son temps couronné du Cristal du court métrage, tout en continuant à pratiquer cet art de l’animation en volumes qui a assis sa réputation. Le résultat est de nouveau admirable dans Atomik Tour (visuel de bandeau), son dernier opus, dont le protagoniste est cette fois un influenceur balançant ses vidéos sur les réseaux sociaux. Et comme d’autres, coupablement désinvoltes, font des selfies à Auschwitz, lui se balade à Tchernobyl, ignorant largement ce qui s’est réellement passé là, au printemps 1986.

La rencontre imprévue de pillards et une agression qui s’en suit le plongeant dans le coma l’entraîne dans des songes ou cauchemars dont il ne sortira pas indemne. On retrouve l’importance de la grande Histoire et de la mémoire dans l’inspiration de Collet (voir Le jour de gloire) et son goût pour les lieux meurtris et abandonnés, comme en friche – comme l’esprit du peintre de Mémorable, du reste. À noter la composition musicale inspirée, signée Alaksiandr Yasinski, accordéoniste originaire de Biélorussie et installé à Prague.

Pour continuer avec les maîtres internationaux contemporains, la dernière proposition de Théodore Ushev avait de quoi surprendre, très différente de ses œuvres précédentes. La vie avec un idiot (visuel ci-dessus) semble s’engager sur le terrain balisé de l’adaptation d’un conte traditionnel de l’Est, suivant l’aventure, ou plutôt la mésaventure d’un certain Vladimir se voyant condamné à vivre avec un idiot, donc à l’accueillir chez lui, auprès de sa femme, en lui offrant gite, couvert… et bien davantage ! La comédie est souvent “hénaurme” et cela fait tout justement son sel, avec une voix off assurée avec brio par Dominique Pinon et, surtout, une animation inhabituelle chez Ushev, usant de crayonnés vifs et énervés, sur un rythme virevoltant, jusqu’à étourdir, comme dans une séquence d’ivresse. À la vodka, donc.

Autre proposition, encore plus étonnante, celle de Sameh Alaa, réalisateur égyptien qui avait emporté la Palme d’or du court métrage à Cannes en 2020 – l’année maudite – avec un film en prises de vue réelles, I Am Afraid to Forget Your Face. Le registre était alors à la tragédie et c’est cette fois une comédie drolatique qui est entreprise par l’artiste à travers S the Wolf (visuel ci-dessus), qui joue de façon matoise avec ses soucis de calvitie avec pas mal d’ironie et même de sarcasme, en assumant le recours à une animation volontairement basique. Le film était présenté en compétition “Perspectives”, s’avérant culotté et franchement hilarant !

Lié aussi au Proche-Orient, mais sur une tonalité dramatique et onirique, le documentaire animé Shadows de Rand Beirouty est une splendeur, l’un des plus beaux courts métrages d’animation de cette année, co-produit côté français par Piano Sano Films (visuel ci-dessus). Un témoignage a été enregistré, celui d’une femme née à Bagdad, en Irak, et mariée de force à l’âge de treize ans, devenue mère peu après et à qui son enfant a été retiré par sa belle-famille, alors que son époux était violent et tout-puissant.

Cet itinéraire aurait pu être évoqué sur un mode misérabiliste ou glauque, mais le film est lumineux, coloré, s’appuyant sur des trouvailles magnifiques (une biche dans un aéroport – l’héroïne rêvait de devenir hôtesse de l’air) et de métaphores bouleversantes (le raz-de-marée qui l’emporte en même temps que le monde alentour). Une œuvre puissante, avec de surcroît une note finale d’optimisme – “Et je me relève”, conclue la voix… –, qui impose dans le paysage le nom de cette artiste évoluant entre Amman, en Jordanie, et Berlin.

Autres destins de femmes touchants, ceux de Sulaimani de Vinnie Ann Bose (visuel ci-dessus), également projeté récemment au Champs-Élysées Film Festival. Une histoire mettant en scène avec une certaine ambition, sur vingt minutes et en partie en stop-motion, deux jeunes exilées indiennes à Paris, venant de la région du Kerala et échouant, un soir de Noël, dans un restaurant tenu par un truculent compatriote.

Un hymne vibrant aux origines, l’une des héroïnes ayant choisi de couper avec ses racines (comme elle l’a fait avec ses cheveux), mais retrouvant le souvenir des jours passés avec ses parents, jadis, au gré des plats servis dans l’établissement, avec leurs couleurs et leurs parfums – le titre évoquant un thé noir épicé fermant le repas pour bien digérer. Le mélange de techniques – l’animation de figurines et la peinture animée en aquarelles, superbe… – donne beaucoup de fluidité au propos, dans une joyeuse célébration des sens, qui prouve qu’on peut aussi faire des films de qualité sur la base de présumés “bons sentiments” : tant mieux !

Pour avoir une vue d’ensemble sur le palmarès de cette édition 2025, on se reportera au site du festival.

Christophe Chauville

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