Cahier critique 17/06/2020

“Mémorable” de Bruno Collet

Cristal du court métrage à Annecy et nommé aux Oscars…

On parle beaucoup dans Mémorable. Peut-être trop. Comme si la parole devait couvrir le dysfonctionnement, faire diversion face aux mutations d’un réel filtré par la maladie du personnage principal. Celui-ci, Louis, est un peintre dont les souvenirs s’effacent, dont la perception du monde mute, faisant ressembler – à ses yeux et aux nôtres – son visage à un autoportrait raviné de Van Gogh, et ceux des autres – dont les traits lui échappent – aux découpes de chair de Francis Bacon. La citation, qui eut toujours une place privilégiée dans les films de Bruno Collet, ramène désormais plus aux peintres qu’au cinéma, mais demeure tout autant motivée par le récit qu’elle le fut à l’époque de Calypso is Like so (2003) ou du Petit dragon (2009), ses hommages en stop-motion à Robert Mitchum ou à Bruce Lee.

Dans l’esprit de Louis, tout se mélange : le réel, sa vie de couple, ce qu’il peignit, les toiles qu’il admira. Résulte de l’entremêlement de ses souvenirs et des œuvres des autres une imagerie foisonnante qui fait la beauté d’un film prenant le parti de montrer avec une emphase paradoxale l’indicible de l’amnésie. La réussite de Mémorable tient précisément dans l’articulation entre un récit profondément mélancolique et un projet plastique offrant au drame un relief inédit. Bruno Collet trouve ainsi à chaque nouveau stade de la maladie d’étourdissants tours visuels, pure adéquation entre la forme et le fond, sans jamais céder pour autant à la platitude de l’illustration.

Contre toute attente, la maladie d’Alzheimer est ici figurée par un trop-plein, où les choses ne se hiérarchisent plus, où les fonctions des objets se brouillent, s’échangent. Au décor modelé par le cinéaste et son équipe se juxtapose celui, transformé et empreint de subjectivité, dans lequel l’esprit farceur de Louis le tient enfermé. Au point de vue atterré de sa femme se juxtapose le nôtre. Et si une contre-plongée devant une porte close cite explicitement Shining, peut-être est-ce parce qu’il s’agit aussi là d’une histoire d’enfermement où une femme assiste à la bascule dans la folie d’un mari artiste. Troublante ambivalence entre le drame vécu (par un personnage de témoin impuissant) et les beautés graphiques que la maladie génère (pour nous autres, spectateurs). La richesse de Mémorable réside sans doute dans cet entre-deux que seul, peut-être, le cinéma d’animation – avec ses outils singuliers, ses sortilèges et ses inventions – pouvait ainsi saisir au plus près…

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n°125, 2020.

Réalisation et scénario : Bruno Collet. Image : Fabien Drouet. Animation : Gilles Coirier, Bilitis Levillain,
Marion Le Guillou, Souad Wedell, Julien Leconte et Rodolphe Dubreuil. Montage : Jean-Marie Le Rest.
Son : Léon Rousseau et Anouk Septier. Musique originale : Nicolas Martin. Interprétation : Dominique Reymond,
André Wilms, Éric Lichou et Philippe Robert. Production : Vivement Lundi !

Avec le soutien de la 

Entretien avec Nicolas Martin, compositeur de Mémorable :