Arco, Cristal d’or du Festival d’Annecy 2025 : rencontre avec Ugo Bienvenu
Artiste inclassable, Ugo Bienvenu exerce ses talents depuis le début des années 2010 dans la réalisation de clips, de courts métrages ou de publicités, mais aussi dans la bande dessinée et la production. Présenté en séance spéciale à Cannes et couronné du Cristal d’or du long métrage au Festival d’Annecy, son premier long métrage Arco est un conte résolument à hauteur d’enfants qui livre une version optimiste et colorée du monde d’après-demain.
En tant qu’artiste pluridisciplinaire, comment choisissez-vous le format correspondant à chacune de vos idées ?
Le format conditionne la manière dont je travaille. Pour moi, le clip et le court métrage sont des poèmes. Ils induisent une forme d’évocation : on ne peut pas trop y raconter une histoire, parce qu’on n’a pas le temps de mettre en place des enjeux et de les résoudre. Ou alors ils sont trop vite résolus et n’ont pas le temps de s’imprimer dans l’inconscient du spectateur.
La bande dessinée, par contre, se rapproche plus du format long. C’est même ce qui m’a amené au long métrage. D’ailleurs, il y a une vraie fraternité entre Préférence système et Arco. L’histoire d’Arco avait besoin de mouvement. On avait besoin de sentir le vent, la chute, le feu, l’essoufflement… La bande dessinée ne le permettait pas.
La première image du film est celle d’un petit garçon arc-en-ciel. Pourquoi ?
Oui, c’est la première idée, un petit dessin que j’avais envoyé à Félix (De Givry, ndlr) ! Depuis le début, j’avais en tête cet arc-en-ciel et une petite fille. Nous nous sommes tout de suite dit que le scénario allait venir du dessin et que le dessin allait venir du scénario. Félix et moi avons commencé à écrire ensemble et, en parallèle, je dessinais. Les deux avançaient en même temps. Nous avions quand même une colonne vertébrale : nous savions que c’était un petit garçon arc-en-ciel qui venait du futur et qui allait rencontrer une petite fille qui l’aiderait à rentrer chez lui. À partir de là, nous avons cherché, comme des archéologues. Le dessin a été une forme d’écriture ; il représente vraiment la moitié du scénario.
Combien de temps a duré ce processus ?
Ça a duré deux ou trois ans. Au départ, les gens remettaient beaucoup l’histoire en cause. Ça nous a un peu déprimés, donc nous avons eu l’idée de faire la même chose que sur les formats courts : une animatique. Le scénario est un objet transitoire, fragile, et qui peut être remis en question à l’infini. L’animatique, au contraire, peut être montrée aux gens et permet de les convaincre. Nous avons donc investi toutes nos économies pour réaliser cette animatique, c’était flippant. Quand on a montré le résultat aux investisseurs, ça a embarqué tout le monde, tout à coup ils savaient sur quoi ils investissaient. On a pu lancer la fabrication, qui a duré un an.
Ce qui est finalement assez court !
J’ai enseigné cinq ans aux Gobelins, donc j’avais formé les étudiants à ma manière. Ils sont venus en stage avec moi, et je les ai embauchés ensuite. J’avais donc tout un vivier de personnes compatibles entre elles, avec lesquelles il était facile de travailler. Je voulais que tout soit réalisé en France. On nous a dit que ça coûterait plus cher, mais ce n’est pas le cas. On contrôle mieux le travail, on ne passe pas son temps à corriger et à faire refaire les plans. On passe du temps à fabriquer, et c’est plus rapide.
Aviez-vous d’emblée envie de réaliser un film s’adressant à un public familial, notamment aux enfants ?
On sait que faire un dessin animé prend du temps, surtout pour un premier long métrage. J’ai réfléchi aux films qui avaient vraiment compté pour moi, à ceux qui m’accompagnent tous les jours. Les premiers films qui me viennent à l’esprit, c’est Pinocchio, Alice au pays des merveilles, E.T., Jumanji, Totoro, Casper… Ce sont les films que j’ai vus et revus quand j’étais enfant. Je me suis dit que quitte à passer cinq ans à travailler sur un film, j’avais envie que cela soit sur un film qui soit important dans la vie des gens, qui puisse s’imprimer en eux. Un film qu’ils puissent voir et revoir. Il me semble que c’est la mission la plus importante pour nous, en tant qu’artistes : former la génération de demain.
Au-delà de l’aspect romanesque du récit, la question des conséquences est très présente dans le film…
Ce que j’aimais bien, là encore, c’était de préparer les enfants. Quand nous avons commencé à écrire Arco, on sortait de la pandémie et du mouvement des Gilets jaunes. Il y avait une phrase qui revenait comme un mantra : on veut que les choses changent. Sauf qu’on n’a pas eu le courage de le faire. Le changement coûte très cher, et on n’est pas prêt à en payer le prix. Le personnage féminin, Iris, fait un vœu pieu : elle demande à ce que les choses changent. Or j’aimais bien l’idée que son vœu fasse venir Arco et qu’ensuite son robot meurt et son monde brûle, tout ça à cause de lui. C’est une manière de dire que le changement a des conséquences. Mais aussi, du point de vue d’Arco qui a voyagé dans le temps sans en avoir l’autorisation : quand on fait une bêtise, cela a des conséquences. Ce qui met les enfants face au monde dans lequel ils vont vivre : les tempêtes, les incendies, l’IA… C’est une manière de les prévenir, de les inciter à réfléchir.
Vous jouez délibérément avec l’imaginaire du futur. Pour une fois, on est dans une utopie, un futur qui peut être source d’espoir…
Jusqu’à maintenant, mon travail était très adulte. Je me suis rendu compte que j’en avais marre de décrire le monde de manière cynique. La science-fiction a ce travers de tout voir sous un angle négatif. Peut-être que c’est pour ça que l’on vit dans un monde extrêmement sombre, parce qu’on ne fait que projeter ce genre de réalités. Avec Félix, nous avons eu envie de produire un récit optimiste, dans lequel il y ait de l’amour, et de créer ainsi – peut-être – une prophétie auto-réalisatrice. J’avais envie de créer un monde meilleur, et pour y arriver, ça commence par le fait de penser que le monde peut être meilleur.
Votre style a évolué depuis vos courts métrages…
Oui, mais le style d’Arco est quand même très proche de Préférence système. En revanche, je n’allais pas dessiner les enfants comme je dessine les adultes. On a aussi enlevé du trait, des hachures qui ne servent à rien. En court métrage, ça va, ça amène des vibrations dont on a besoin, mais sur du long, ça ne marche pas si ça vibre tout le temps. J’avais aussi envie de plus de douceur donc j’ai adouci mon style, il s’est arrondi. Mais c’était naturel, et pas lié aux contraintes du marché.
L’arc-en-ciel est un motif récurrent de votre travail. D’où vient-il ?
Quand j’étais à l’école Estienne, pendant mes premières années d’études, sur Photoshop, il y avait un outil “arc-en-ciel”. Tout le monde trouvait ça de mauvais goût, mais moi, ça m’amusait beaucoup. J’ai donc commencé à l’utiliser en réaction, pour contrarier mes professeurs et les autres élèves, et petit à petit ça s’est ancré dans mon style. Au départ, je n’osais pas trop le montrer. Mon style était très noir et blanc, il fallait avoir l’air sérieux. Et puis, à un moment, j’en ai eu marre. J’aime ces couleurs-là, j’aime ces associations, j’ai vécu au Mexique, c’est ma manière naturelle de mettre en couleur. Donc j’ai fait Fog avec des arcs-en-ciel et des couleurs partout, et ça a cartonné ! J’ai réalisé que lorsque je me fais plaisir, ça fait plaisir aux gens. Les arcs-en-ciel sont donc presque partout… et c’était évident qu’ils devaient être dans le long. Ça me plaisait aussi beaucoup par rapport à ce qu’on voulait raconter car l’arc-en-ciel a toujours été un signe d’espoir. C’est aussi le lien avec le ciel, l’au-delà, le monde de l’imaginaire…
Et puis, quand on a vu Toy Story, on ne voit plus jamais les jouets de la même manière. On a l’impression que si on tourne la tête, ils vont se mettre à bouger. Nous nous sommes dit, Félix et moi, que ce serait génial si les spectateurs d’Arco ne voyaient plus jamais les arcs-en-ciel de la même manière.
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