Festivals 17/12/2021

Une rencontre avec Alain Ughetto, au 18e Carrefour du cinéma d’animation

Alain Ughetto présentait cette année au Carrefour de l’animation le “work in progress” de son 2e long métrage, Interdit aux chiens et aux Italiens, attendu dans le courant de l’année 2022. L’occasion pour nous d’aller à la rencontre de ce créateur singulier, spécialiste d’animation en volume.

Alain Ughetto, qui s’est fait connaître avec des courts métrages en pâte à modeler dans les années 1980 – L’échelle, La boule (visuel ci-dessous), La fleur  avant de réaliser pratiquement seul le long métrage Jasmine en 2013, était présent au Carrefour du cinéma d’animation, dont la 18e édition se tenait du 8 au 12 décembre au Forum des images. Il a accepté de répondre à nos questions.

Avec Interdit aux chiens et aux Italiens, vous restez une nouvelle fois fidèle à l’animation en volume, qui était présente dès vos premiers courts métrages réalisés en pâte à modeler.

Je l’appelle “pâte modelée”, car lorsqu’elle est “à modeler”, c’est qu’elle est encore dans le paquet. Dès qu’on la sort et qu’on la manipule, elle se réchauffe, elle se détend, elle se laisse aller. C’est comme un rapport amoureux. Pour Jasmine, je savais qu’en mélangeant les pâtes, cela évoquerait tout de suite des gens qui font l’amour. Ce mélange des pâtes est éminemment visuel et correspond à ce que raconte le film.

Pour Interdit aux chiens et aux Italiens, vous changez de technique puisque le film est réalisé en marionnettes. Vous avez pu animer à nouveau ?

J’ai aidé à construire les décors, mais l’animation de marionnettes est trop technique. Je me suis dit que ce n’était pas mon boulot. Et puis j’avais souffert pendant Jasmine. Trois ans de manipulation… J’avais des ampoules au bout des bois ! Par contre, ma préoccupation tout au long du projet était de trouver comment insuffler de la vie aux marionnettes. Cela passe par le fait de mettre des situations en place, mais aussi de donner des indications aux animateurs pour qu’ils puissent apporter un peu d’eux-mêmes aux personnages.

L’animation en volume ne permet pas de retour en arrière, chaque mouvement efface le précédent.

C’est la grande différence entre dessin animé et animation en volume ! Dans le cas du dessin animé, il y a des phases qui sont dessinées. Si ça va trop vite, il suffit d’en rajouter. Dans l’animation en volume, le mouvement précédent est effacé par chaque nouveau mouvement. Les phases disparaissent. L’animateur doit donc prendre en charge la marionnette avec une sorte de conscience manuelle.

Il est donc difficile d’obtenir ces “accidents heureux” qui sont le propre de l’animation… 

Les accidents peuvent difficilement avoir lieu : tout est normé et organisé. Il faut savoir où finit chaque plan pour le raccorder avec le suivant. Tout est donc pensé à l’avance : on a un storyboard, les plans sont calés, on connaît la durée de chacun, le rythme des séquences… Mais je voulais quand même garder un peu de vie là-dedans. Parfois, je me disais : cette scène n’est pas finie, mais on verra au tournage. Je leur demandais de me laisser 3 ou 4 plans à la fin, pour avoir cette liberté. C’est important de garder de la vie. Si tout est figé, c’est un “tue l’amour”, on se demande pourquoi on est là ! 

Comme pour Jasmine (visuel ci-dessous), Interdit aux chiens et aux Italiens se nourrit d’une matière à la fois réelle et personnelle, puisqu’il s’agit de l’histoire de votre famille. 

Pour moi, l’animation en volume permet de rendre le réel poétique. Face à la vie de mes grands-parents et à la misère en Italie, je me suis beaucoup demandé comment raconter cette histoire-là, comment le faire avec humour. Au départ, la forme était documentaire mais ça ne marchait pas car l’industrie du film d’animation ne permet pas l’improvisation. Il a fallu réécrire une fiction autour de trois personnages dont Luigi, mon grand-père, et Cesira, ma grand-mère.

Parler de choses personnelles est-il parfois une contrainte ?

Le plus dur, c’est d’être sincère. Parfois on a envie d’enjoliver… Mais la sincérité, c’est la base de tout film. Et puis le spectateur a peut-être l’impression qu’on dit tout, mais moi j’ai l’impression d’avoir raconté peu de choses. Il n’y a rien de secret.

Vous vous mettez en scène dans le film à travers votre main, qui interagit avec les marionnettes…

Dès le début, j’avais décidé de m’intégrer au récit. Je ne pouvais pas raconter l’histoire de Luigi et de Cesira de trop loin. Il n’y avait que ma main qui permettait de faire ça. C’est intéressant sur le plan narratif, mais en plus ça permet de rythmer et de ponctuer le récit.

Cela apporte aussi une mise à distance. Le film est d’ailleurs plein de trouvailles visuelles qui ramènent sans cesse à l’idée que l’on est dans une fiction. Par exemple, tous les personnages ont le même visage. Ce sont leurs accessoires qui les différencient.

Je tenais à cela. D’ailleurs, économiquement, on n’aurait pas pu faire des personnages très différents les uns des autres... Au départ, on avait prévu des personnages petits, moyens, puis grands. Comme ça commençait à peser sur le budget, j’ai eu l’idée de supprimer la taille intermédiaire. Ils sont petits et ils deviennent grands. Ça apporte une note d’humour lorsque mon père grandit d’un coup et que la grand-mère dit : “C’est la polenta !”. Parfois on ne s’en sort pas, et puis ce genre d’idées arrive toute seule. Il faut se faire confiance.

Vous avez également eu l’idée d’utiliser des matériaux réels pour réaliser certains décors.

Il me fallait raconter une histoire dont je n’ai connu aucun protagoniste. Et en plus, tout a disparu, il ne reste que des ruines… Cela ne pouvait fonctionner qu’avec ce dispositif : aller dans leur village natal, récupérer ce qu’ils avaient : le charbon de bois, les brocolis, les marrons… et en faire un décor.

Finalement, j’ai surtout voulu faire un film témoignage sur la vie de ma famille. Alors bien sûr ils n’ont pas émigré tout seuls, beaucoup de gens ont connu le même cheminement. C’est pour cela que c’était important de commencer par “je”, et de rapidement basculer sur “nous”. Tous les migrants ont vécu la même chose : comment on arrive dans un pays où on ne nous voit pas, comment on participe à la vie de ce pays tout en restant discret. Moi, toute mon enfance j’ai entendu : “Ne te fais pas remarquer, fais ce qu’on te dit.”. On s’est assimilé doucement. Il n’y avait pas trop d’ouvertures pour faire autre chose. Quand on est maçon, il n’y a pas de passerelles vers l’architecture… Et les arts, n’en parlons pas !

Et pourtant, vous avez réussi à devenir réalisateur…

C’est vrai ! Comme quoi, il faut vraiment insister.

Propos recueillis par Marie-Pauline Mollaret

 

Photos de bandeau et du Carrefour : © Forum des images / Pascal Olivier.

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