Festivals 11/07/2024

Souvenirs du FIDMarseille 2024

Brefcinema était partenaire du FIDMarseille, dont la 35e édition s’est tenue à la fin du mois de juin. L’une de nos journalistes a fait le déplacement et évoque pour nous ce qui, selon elle, en restera en premier lieu.

Lors de la cérémonie d’ouverture, le cinéaste Miguel Gomes – dont Grand tour (photo ci-dessous) était projeté en plein air sur le toit de la Friche La Belle de Mai – saluait l’intuition géniale du FID, il y a une dizaine d’années, énonçant que ce qui manquait à un festival de cinéma documentaire, c’était de la fiction. Poreux à tous les modes de récit du monde, le FID offre des films de toutes les formats, parmi lesquels beaucoup d’œuvres d’une heure, perchées sur la crête qui sépare le long du court métrage. Deux portraits d’artistes s’illustrent dans ce format intermédiaire : Avant qu’il ne soit trop tard de Mathieu Amalric et Mondongo, la materia y la obra de Mariano Llinás. Dans un festival marqué par un émouvant hommage à Ingrid Caven et la découverte du cinéma de science-fiction politique d’Adirley Queiros et Joana Pimenta, retour sur quatre films dans et autour de la compétition.

Filmer sur la pointe des pieds

Dans la lignée de ses précédents documentaires sur la musique, Mathieu Amalric questionne avec Avant qu’il ne soit trop tard (photo ci-dessous) comment filmer la musique en train de se faire. Alors que le célèbre quatuor américain Emerson s’apprête à enregistrer son dernier disque après quarante-sept années de carrière commune, le cinéaste s’immisce dans leur studio pour enregistrer leur dernière collaboration. En observant avec minutie leur travail, il scrute aussi les symptômes de cette ultime fois avant la séparation.

Seul, mais muni de deux petites caméras Lumix très mobiles, Amalric se demande quel dispositif de mise en scène permet d’embrasser les performances des cinq musiciens. Loin d’être une question subsidiaire, la technique guide l’esthétique, tout comme le producteur de l’album, Guido Tichelman, ouvre le film en présentant la petite veilleuse qui indique aux musiciens s’il est en train de les enregistrer ou non. Comme un coucou fait son nid dans celui d’un autre oiseau, le cinéaste fait son film dans un dispositif de spectacle déjà existant. Au service de la musique, donc, l’une des caméra se fixe sur le pied d’un micro et l’autre, mobile, suit les musiciens écoutant les différentes prises de leurs performances. Avec une gourmandise de petit garçon, Amalric se faufile, en chaussettes et sur la pointe des pieds, entre ces grands musiciens qu’il apprivoise de sa présence discrète au fil des jours. Dans un dispositif de surveillance que ne renierait pas l’espion de Conversation secrète de Francis Ford Coppola, le film utilise les multiples micros et ses deux caméras pour tout embrasser du geste de création.

Mais il est une autre protagoniste, debout face à ces quatre monstres sacrés : la soprano Barbara Hannigan, qui est aussi la compagne du cinéaste. L’entente du quatuor et de la chanteuse, au sens propre autant qu’au figuré, se mesure dans des plans en split screen qui donnent à voir leur jeu synchrone. Regarder des gens qui écoutent raconte quelque chose de profond sur la musique de chambre, mais aussi sur toute entreprise collective. “C’est difficile, j’ai du mal à trouver le sentiment dans tout ça”, faisait dire Bertrand Bonello à Gabrielle (Léa Seydoux), pianiste déchiffrant du Schönberg, dans La bête. Amalric ne cherche que le sentiment dans la pièce du père de la musique sérielle dont Emerson interprète une pièce. La répétition, la nuance, l’attaque d’une mesure : le cinéaste transforme la cadence laborieuse du travail en une rythmique propre au film qui ne s’astreint jamais à une mise en scène figée. Les archives viennent télescoper avec impureté la captation : une interview sonore du maître à la fin de sa vie, le jingle du shampoing Vidal Sassoon, l’extrait d’un cartoon où Tom le chat dit adorer le dodécaphonisme (le compositeur Scott Bradley avait été l’élève du compositeur autrichien et aimait jouer dans les dessins animés de Tex Avery de cette façon savante d’écrire la musique)...

On est surpris de la répartie des musiciens entre eux qui plaisantent pour replonger, en une fraction de seconde, dans la concentration des sombres émotions de Schönberg, musique adaptée à certaines situations de la vie telle qu’une “transfusion sanguine ou une procédure de divorce”, selon ses interprètes. Dans cette comédie, la silhouette dansante de Barbara Hannigan et sa longue chevelure blonde pourrait évoquer la Petite sirène qui aurait rencontré quatre des nains de Blanche-Neige. Avant qu’elle ne porte son regard sur le cinéaste discret que l’on avait juste entraperçu, se faufilant en rampant sur le sol pour installer une caméra. Le temps du dernier plan, il devient le destinataire du regard de la star : elle se tourne vers lui, floue d’abord, il met au point sur son visage qui laisse voir une moue de doute joyeux à l’enregistrement du dernier passage, invitant, depuis cet ultime plan, à revisiter le film comme une comédie romantique.

Thriller

Autre portrait d’artistes, Mondongo, la materia y la obra de Mariano Llinás (photo ci-dessus) documente la création de l’exposition monumentale préparée par un couple d’amis de jeunesse du cinéaste argentin, particule de la nébuleuse El Pampero Cine. Le film répond à la commande qui lui a été faite et se présente sous les atours d’une forme classique mêlant interview d’une historienne de l’art et cinéma direct dans l’atelier où s’agitent les petites mains du projet grandiose. Le découpage sec et nerveux évoque très vite le montage de la scène de la douche de Psychose dont le film réemploie la musique, qu’il alterne avec celle de Sueurs froides. Le documentaire de commande revêt le trench-coat de l’enquêteur  pour investiguer sur les dessous de la création, de tous les mystères, sans doute le plus impénétrable. En faisant voler son montage en éclats, en intégrant à son film les pages de son scénario, Llinàs désigne les contours de chacun de ses plans qui sont comme les briques de couleurs fabriquées méthodiquement dans les ateliers des Mondongo.

Ces palets de toutes les teintes, assemblées dans une cabane qui évoque la “Black Maria” de Thomas Edison, reproduisent l’infini du nuanceur du spectre et offrent une matérialisation de la théorie développée par le peintre suisse Johannes Itten dans son ouvrage Kunst der Farbe. Se bouclent alors dans un effet circulaire la théorie et la pratique, l’œuvre finie et la recherche, le making off et son sujet. Connaissant le goût du cinéaste argentin pour les récits à chausses-trappes, il serait bien trop simple d’en terminer sur l’épiphanie de l’œuvre achevée. Le tableau d’un navire en proie à la tempête clôt ce qui est en fait le premier volet d’une trilogie catastrophe qui se poursuit avec Retrato de Mondongo et Kunst der Farbe. Après la fabrication, le film sera, comme le prophétisait Marguerite Duras, le récit de son propre naufrage.

Obey...

Un circulo que se fue rodando, de Liv Schulman (photo de bandeau), moyen métrage franco-argentin, fait de Buenos Aires l’épicentre d’une déambulation bavarde suivie par une caméra vagabonde qui change au gré de ses envies d’objet d’observation. Dans la cohue urbaine, l’objectif de la body camera circule librement d’une conversation à une autre, évoquant l’avortement, les relations hommes/femmes, le travail dans un flux ininterrompu. Sous ces logorrhées émerge un discours tout fait, qui s’inscrit dans les diktats de la grande ville avec ses joggers ou ses publicités géantes qui détournent les chefs-d’œuvre de la peinture pour vendre du Coca-Cola. Derrière ce flux continu de marche et de mots, les corps sont pris d’une léthargie progressive et de comportements qui dévient de la distance imposée par la foule. 

L’homme est un loup pour l’animal

Autre film sur le discours, Le colloque des chiens de Norman Nedellec (photo ci-dessus) reprend la nouvelle écrite par Cervantes en 1613 qui donne la parole à deux canidés qui fait mentir l’adage du philosophe linguiste Wittgenstein quand il affirmait : “Si les lions pouvaient parler, nous ne comprendrions pas ce qu’ils se disent.” Dans le silence de la nuit, le dialogue joué par Ivar et Drogon, eux mêmes rescapés d’un foyer hostile, nous est intelligible, relève d’une langue soutenue et poétique, mais il révèle aux hommes la violence de ceux qui, déguisés en pasteurs, se comportent comme des loups. Ecart entre le discours et les actes qui résonnait d’autant plus fort lors du Palmarès du FID qui a eu lieu en pleine soirée électorale du premier tour des Législatives.

Raphaëlle Pireyre

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