Festivals 11/07/2021

Retour à Brive

L’une de nos collaboratrices était présente sur le Festival de Brive 2021. Elle est revenue pour nous sur les films qui ont le plus retenu son attention.

Le Festival du cinéma de Brive, Rencontres internationales du moyen métrage a cette année délaissé le printemps pour l’été en raison de la pandémie et a présenté une compétition résolument internationale avec une bonne moitié de films étrangers parmi les 20 titres en compétition.

C’est le film Palma, déjà auréolé de plusieurs prix depuis sa présentation à Clermont-Ferrand en février dernier, que le jury du festival a choisi de récompenser de son Grand prix. Alexe Poukine joue elle même le rôle principal, une mère séparée et précarisée qui tente difficilement de donner le change et d’offrir à sa fille des images artificielles d’un bonheur et d’une aisance familiales feintes. On note aussi deux films tournés pendant les confinements successifs qui s’attachent à fictionner les effets de la crise du Covid-19.

Dans Clementina Capitulos 1 y 2 (photo ci-dessus), Constanza Feldman et Agustín Mendilaharzu tirent de cette claustration un récit domestique sur leur appartement, labyrinthe rempli d’objets improbables, sur la déliquescence de leur immeuble ancien qu’il faut sans cesse rafistoler et celle de leur couple, qui se résume à un chassé croisé de notes et de messages concernant les taches ménagères et qui ne se voit distrait que par l’incursion d’un artisan mutique venu réparer la salle de bains. La fantaisie du récit héritier du comique de Pierre Étaix va dans l’excès de stylisation dans le jeu de ses personnages, ses couleurs vives ou ses effets de bruitages improbables et recompose un monde artificiel à partir de conditions de tournage que tout orienterait vers la simplicité naturaliste.

Guillaume Orignac a, lui, filmé les rues de Paris au crépuscule pendant le premier confinement. La seule présence fantomatique dans la ville déserte de Delenda Carthago (photo de bandeau) est celle des éclairages automatiques ; les uniques silhouettes à formes humaines sont celles des mannequins dans les vitrines qui profitent de l’absence des hommes pour échanger des propos métaphysiques sur l’existence. Le film part de ce constat que le réel est devenu un scénario de science fiction pour tisser intelligemment le fil de ces plans documentaires avec celui d’une histoire racontée par trois personnages différents qui commence en ayant des airs de cauchemar pour s’immiscer de plus en plus dans le réel. Le film met en abyme sa propre construction et s’amuse de la répétition de son récit et de ses variations.


 
Avant la pandémie, en 2019, des millions de manifestants protestent contre un amendement qui met en péril l’autonomie législative de Hong-Kong vis à vis de la Chine continentale. Ils se regroupent autour du Conseil législatif pour montrer leur opposition. Tourné par un collectif de cinéastes anonymes, Taking Back The Legislature (photo ci-dessus), qui a remporté le Prix du public, se concentre sur les quelques journées de juillet au cours desquelles les manifestants pacifiques tentent de décourager les militants plus offensifs de prendre d’assaut le Conseil législatif.

Unité de temps et d’action donc pour ce documentaire qui s’embarque au cœur de l’action pour en consigner la détermination et le courage de ceux qui brisent les portes de l’institution. Mais ce qui frappe dans ce chaos de pression manifestante et dans la répression policière gigantesque qu’elle suscite, c’est à quel point le dialogue persiste malgré le désaccord. Non-violents et interventionnistes débattent tout au long de l’action des risques encourus à l’un ou l’autre choix. Dans le désordre absolu de ses plans volés à l’action militante, le film maintient ce cap étonnant de suivre le dialogue sans cesse maintenu d’un camp à l’autre et d’insister ainsi sur la difficulté des choix dans une lutte forcément déséquilibrée.


 
Groupe Merle noir, d’Anton Bialas (photo ci-dessus), parle aussi d’action politique radicale. Dans une maison à l’abandon, quelques personnes entre deux âges vivent à la limite de la société au moment où le film les saisit juste avant qu’ils ne basculent. La précision du découpage évoque Bresson et la citation de la chanson qu’interprète Jeanne Moreau dans Absences répétées de Guy Gilles est la deuxième figure tutélaire du film qui dépeint le quotidien d’une assemblée mutique proche de celle du Diable probablement. La violence contenue des personnages sourd à travers la construction d’une bombe artisanale mais aussi par l’explosion de certains plans : le rasoir qui crisse sur le visage d’un des hommes, reprenant le cadre du Big Shave de Martin Scorsese, ou dans les éclats de vaisselle qui se fracassent sur le sol.

Mais cette violence s’humanise dans la tendresse du regard que porte le cinéaste sur les gestes et visages de ceux qu’il filme prend le contre pied de la violence que ceux ci expriment par des mots, incantations griffonnées sur un carnet ou paroles de chanson gravées dans le mur de la maison dans cette chronique d’une catastrophe annoncée qui nous donne à penser, comme le disait le philosophe anglais  Mark Fisher qu’“il est plus facile aujourd’hui de penser la fin du monde que la fin du capitalisme”.


 
Au lieu de réviser son bac, Nicolau, dans la première séquence de Catavento de João Rosas (photo ci-dessus) essaie de deviner ce qu’étudient les filles qu’ils voient à la bibliothèque. Sa voix off murmure sur les portraits successifs de visages qui sont autant d’histoires auxquelles le film ne se consacrera pas. Ce premier plan dit tout du personnage, une voix qui fantasme et intellectualise avant que d’être un corps, un jeune irrésolu que l’abondance de choix paralyse, un garçon qui voit le monde à travers le regard des filles.

Le film déambule ainsi sur les pas tortueux des désirs de son protagoniste. La douceur que l’atmosphère estivale du film et la langueur maîtrisée de mise en scène nous rappelle que par delà les tumultes du monde et ses luttes, il importe aussi toujours de s’attarder pour écouter un jeune cœur qui bat.

Raphaëlle Pireyre

À lire aussi :

- Les lauréats des Rencontres internationales du moyen métrage 2021.

- Palma, primé à Premiers plans, à Angers, début 2021.