Le Labo à Clermont-Ferrand : 20 ans déjà !
Même si les 2 programmes rétrospectifs prévus pour célébrer ce bel anniversaire ont été décalés à 2022 au vu des circonstances, la compétition Labo est particulièrement à l’honneur en cette 43e édition du plus grand festival de courts métrages de la planète. L’une de ses principales têtes chercheuses et pensantes, Calmin Borel, en retrace la faste et régulière ascension.
Comment retraceriez-vous les circonstances qui présidèrent à la naissance de cette nouvelle section compétitive au sein du Festival de Clermont-Ferrand ?
J’ai eu la très grande chance d’entrer dans l’équipe à la fin de l’année 2000. Je travaillais pour le festival Vidéoformes à l’époque. Ils avaient besoin de quelqu’un pour appréhender l’apparition des supports de projection non-argentiques. Trop de films n’étaient pas visibles à cause de leur support de projection. À cette époque, Supinfocom, par exemple, ne passait en 35 mm qu’un tout petit nombre des films réalisés par ses étudiants, pour des raisons évidentes de coût.
Pour pallier à cette situation, une compétition “numérique” a été créée, galop d’essai de deux années pour, en 2004, décider d’ouvrir les compétitions à tous les supports et de nommer de manière définitive cette nouvelle compétition, le Labo, actant le fait que les œuvres les plus intéressantes étaient celles à la marge, qui s’affranchissaient de la narration, mélangeant les genres et venant de créateurs n’ayant pas spécialement reçu une formation en cinéma.
On a vu arriver des graphistes, des architectes, des chorégraphes ou encore des musiciens qui se sont emparés de l’image en mouvement et proposer des œuvres des plus audacieuses. Il y eut un rapprochement naturel à l’époque avec Nicolas Schmerkin, qui avait créé le magazine Repérages et dont de nombreux films, qu’il devait produire ou distribuer avec Autour de minuit, se retrouvèrent en compétition chez nous, mais aussi avec Pascale Faure, qui fut déterminante en nous suivant dans l’aventure en remettant un Prix Canal+ Labo, ou encore Gilles Alvarez et sa programmation aventureuse du Festival Némo.
Kleber Mendonça Fllho, Eileen Hofer et le musicien Cascadeur, jurés du Labo 2016.
À quel moment l’utilisation du numérique, initialement retenue comme critère principal de sélection, s’est-elle effacée devant le caractère novateur et prospectif des œuvres ?
Après deux éditions, nous avons fait le point : qu’est-ce que cette nouvelle compétition de films “numériques” avait apporté ? Une fois écartés les ersatz de “fictions qui fictionnent” et quelques tristes animations n’existant pas sur support 35 mm, restaient dans notre tamis des œuvres hybrides empruntant autant à l’art vidéo qu’à l’autofiction, mélangeant “gaillardement” les genres, faisant un sort à la narration et allant chercher leur liberté de ton aux frontières du cinéma. 2004 signe l’adoption définitive du nom “Labo” pour cette compétition et la disparition du support de projection comme critère de sélection – et ce, pour l’ensemble des compétitions.
Le Labo est-il un territoire privilégié pour le cinéma expérimental, plus encore qu’expérimentateur, au sein de la vitrine clermontoise ?
Le Labo reste l’aiguillon des compétitions, un espace de tentatives, d’échappées belles. C’est l’expression subjective d’un comité de sélection composé de personnalités fortes, qui n’a pas vocation, à la différence des compétitions nationale et internationale, à être une vitrine de la création annuelle mondiale du court métrage.
Nous visionnons les films reçus pour le festival, mais nous sortons aussi des œuvres du web, des musées, de galeries, pour les sélectionner et les programmer. Ce travail de programmation est particulièrement important, il prend tout son sens quand, par exemple, The Evil Eye de Clément Cogitore (photo ci-dessous), exposé au Centre Pompidou, prix Duchamp en 2018, est en compétition au Labo, tout comme les animations de Blu, street-artist italien principalement visibles sur Internet ou encore les magistraux documentaires de Yuri Ancarani (Il Capo, Grand prix Labo en 2012), plus habitué aux galeries de par le monde. La seule ligne éditoriale revendiquée, c’est celle de ne pas en avoir : pas d’étiquette, pas de case, pas de niche !
Quels ont été les premiers grands créateurs remarqués, sinon révélés par la section ? Qui sont les grands habitués revenus régulièrement en sélection ?
Côté français, Pierre Vinour avec son Millevaches (expérience) (2000, nommé aux César 2002) avait montré la voie, et les festivaliers ont pu découvrir au fil des éditions les œuvres de Pierre Villemin, Régis Cotentin, Benoît Forgeard, Gérard Cairaschi, Mihai Grecu, Virgil Vernier, Caroline Poggi ou encore Pierre-Yves Cruaud.
Sur la partie internationale, le duo Müller-Girardet explose avec sa déconstruction virtuose de l’histoire du cinéma, à l’instar du Belge Nicolas Provost. Ils ont régulièrement les honneurs de la sélection. Jonas Odell est un des premiers à magnifier le documentaire animé avec une sensibilité rare ; c’est aussi un lieu de programmation idoine pour nombre d’œuvres issues d’écoles européennes comme Le Fresnoy, le Royal College of Arts de Londres ou encore la KHM de Cologne.
Mais c’est Rosto qui reste pour moi au cœur de ces deux décennies : ami du festival, membre du jury 2007 et créateur de l’affiche la même année, c’est pour moi “l’homme Labo”, rayonnant dans sa maîtrise des outils et des techniques, avec son humour, son exigence et son ouverture d’esprit hors pair. Il nous manque énormément.
Quelles grandes évolutions distingueriez-vous dans la production d’une extrémité à l’autre du spectre de ces deux décennies d’existence ?
De l’explosion numérique, avec sa maîtrise jouissive de la chaîne de production, DIY en diable, du tournage au montage en passant par la diffusion sur Internet, à l’arrivée de productions mieux financées mais pas spécialement plus pertinentes, sans pour autant rentre caduque un retour à la légèreté que donne ce format aux réalisateurs, certains étant passés au long pour mieux revenir au court, comme Denis Villeneuve avec Next Floor (2008).
La liberté que procure maintenant les séries comme celles, par exemple, de Netflix résonne avec la liberté du Labo, c’est sans surprise qu’on a vu le talent de Baran Bo Odar exploser avec la série Dark après un passage par le Labo une bonne dizaine d’années auparavant avec Quietsch (2005). La vingtième année de la section valide le documentaire comme le champ d’expérimentation privilégié des jeunes créateurs, avec pas moins de 10 films sur les 26 en compétition.
Les réactions du public devant ces propositions parfois atypiques se sont sans doute affinées au fil des années : quelle vision avez-vous de cette acclimatation des regards ?
Nous avons la très grande chance d’avoir un public formidable ! Les spectateurs sont curieux : dès la première année, ils ont rempli les salles de cette compétition. À nous de garder vivante cette curiosité, d’ouvrir des chemins, de trouver les passerelles, de composer des jurys aux regards et origines diverses, acoquiner une auteure de BD comme Nine Antico à des musiciens comme Stuart Staples, Kurt Wagner ou le Legendary Tigerman, y glisser un photographe hiératique tel que Richard Dumas et finalement arriver à voir “débouler” une Claire Denis : c’est cela, un jury Labo !
Cette hybridation des regards s’est doublée d’une hybridation des films : certains d’entre eux qui, il y a dix ans, seraient passés immédiatement au Labo sont maintenant sélectionnés en compétition nationale, comme Hillbrow de Nicolas Boone (2014, photo ci-dessous), Black Diamond de Samir Ramdi (2015) ou les films de Bertrand Mandico. Le numérique et Internet aidant, les spectateurs se forgent un regard et accueillent cette hybridation avec une douce évidence.
Les 20 ans du Labo donnent aussi lieu à une édition spéciale, celle d’un coffret Blu-ray, comment son sommaire a-t-il été défini parmi la quantité de films marquants concernés ?
Pas de méthode, juste un plaisir gourmand de se replonger dans les plus de 600 films que nous avons montrés, de sélectionner quelques pépites comme The External World de David O’Reilly qui est également créateur de jeux vidéo très originaux (“Mountain” en 2014, “Everything” en 2017), mais aussi de célébrer les plus jeunes et non moins aventureux comme le Taïwanais Pang-Chuan Huang qui, à peine sorti du Fresnoy, rafla le Grand prix Labo deux ans d’affilée (Retour en 2017 et Last Year When the Train Passed by en 2018). Ou encore Ismaël Joffroy Chandoutis, originaire de Clermont-Ferrand, plusieurs fois primé au festival, dont le film Ondes noires est entré dans la collection du Frac Auvergne, ou Juanita Onzaga, réalisatrice colombienne-belge qui joue sur les formes hybrides de la fiction, du documentaire et l’expérimental avec une approche pleine de poésie. Ou encore Nikita Diakur, au style d’animation si particulier. Tous incarnent un futur lumineux pour la création cinématographique.
À lire aussi :
- Le palmarès du Festival de Clermont-Ferrand 2020.
- Sur le Blu-ray des 20 ans du Labo, édité en partenariat avec Autour de minuit.
Ismaël Joffroy Chandoutis et Pang-Chuan Huang, heureux lauréats en 2018.
Photos du festival : © Sauve qui peut le court métrage.
À l’occasion des 20 ans du Labo, 3 films seront mis en ligne sur Brefcinema à partir du mercredi 3 février : Raymond de BIF, Lila de The Broadcast Club et Swatted d’Ismaël Joffroy Chandoutis. Ils seront proposés en accès libre durant leur première semaine de disponibilité.