Cahier critique 11/09/2019

“Retour” de Pang-Chuan Huang

Grand prix Labo à Clermont-Ferrand 2018.

Le jeune cinéaste taïwanais Pang-Chuan Huang, qui a été résident au Fresnoy-Studio national des arts contemporains, accomplit, avec Retour, un triple itinéraire initiatique. Un voyage vers son pays, un travail de mémoire sur sa famille via l’analyse et la mise en abyme d’une photographie de son grand-père prise par un collègue en 1948, et la réappropriation de certains codes du cinéma expérimental ou d’essai que la critique d’art franco-coréenne, Daphné Le Sergent, décrit comme “une acclimatation du modernisme (cinématographique) occidental à des contrées où aucune tradition n’existait dans ce domaine avant les années 1980 et la généralisation de la vidéo”.

Le cinéaste, au travers d’une voix off, décrit, de manière souvent cocasse, le voyage qu’il accomplit vers l’est. Il part du lieu qui l’a formé, Tourcoing où est sis le fameux studio fondé par Alain Fleischer (creuset où se mêlent et s’hybrident styles et sensibilités les plus divers), et va décrypter, parallèlement à son trajet, par saccades – d’abord la maison, puis les pieds du sujet et enfin, à la toute fin, son visage – un instantané de son aïeul. L’achèvement de ce parcours (en train et à travers la mémoire familiale) est, concrètement et fantasmatiquement, la contrée matricielle d’où il est issu, la Chine des conflits des années 1940 : guerre sino-japonaise et épuration maoïste.

Retour a essentiellement été réalisé avec quatre appareils photo argentiques ; les instantanés en noir et blanc évoluent du montage de photos articulées les unes aux autres (un photomontage filmique en somme) à la succession de photogrammes qui se déclinent, vers la fin, en plans cinématographiques saccadés. Mais en y repensant bien, on remarque que Pang-Chuan Huang marche ludiquement sur les pas des pionniers qui, de Marey aux frères Lumière en allant jusqu’à Chris Marker ou Ken Jacobs, orientent l’art de la photo vers le mouvement cinématographique, en revenant cycliquement vers son identité première de photogramme. Comme Pang-Chuan l’accomplit également en promouvant un travail de mémoire sur sa propre origine d’homme, à cheval entre deux cultures. Le but de l’artiste est de dévoiler une identité enfouie (oubliée ?) à travers l’option mouvante et déstructurante du voyage et ses infinités de combinaisons visuelles permises, voire occasionnées, par la pellicule – et les lieux parcourus, France, Pologne, Russie… – et traitées dans toutes les variétés d’émulsions, de vitesses, de recompositions. Ce plantureux “festin d’images” suscité par le déplacement en train et le jonglage avec la vitesse des photogrammes sert à analyser, par le recours à des recadrages constants, l’image matricielle du grand-père ainsi remise en abyme.

Dans le cas de Retour, l’expérimentation plastique redéployée et reconstruite par la voix off poético-descriptive et mémorielle de l’auteur acquiert une dimension essayiste certaine.

Raphaël Bassan

Article paru dans Bref n°124, 2019.

Réalisation, scénario, image, montage, texte et voix : Pang-Chuan Huang.
Son : Lan-Ting Hsu, Yannick Delmaire, Chen Tao Chiang et Pang-Chuan Huang. 
Musique originale : Giong Lim. Production : Le Fresnoy.