Des “Clips d’aujourd’hui” à La Roche-sur-Yon
Depuis 2017 et une rétrospective consacrée à Michel Gondry, le Festival international du film de La Roche-sur-Yon fait la part belle au clip. Cette année, c’est une sélection de quinze vidéos musicales marquantes de l’année passée qui sera projetée. Retour avec Nicolas Thévenin, son programmateur et directeur de la rédaction de la revue d’entretiens Répliques, sur ces “Clips d’aujourd’hui” qui seront diffusés à deux reprises, le jeudi 16 octobre et le vendredi 17.
Comment est née cette section du festival ?
Il s’agit d’un partenariat de longue date initié entre la revue Répliques et le festival, alors dirigé par Paolo Moretti. La proposition consistait à ce que nous accompagnions des programmes et notamment un auteur grand public, comme ce fut le cas pour Christophe Honoré, Bruno Podalydès ou Noémie Lvovsky. Une année, une rétrospective a été consacrée à Michel Gondry alors que nous venions de sortir un numéro de la revue qui lui était exclusivement consacré. Nous avons eu l’idée de programmer une séance de ses clips. Charlotte Serrand, l’actuelle directrice artistique, est très sensible à ce que le festival regarde plus globalement du côté des arts plastiques, des outils numériques, de l’exposition, dans un rapport au cinéma très ouvert à l’image, cette programmation est restée les années suivantes.
Ce type de programmation existe ailleurs en France, mais cela reste assez rare. Chaque année, une séance est dorénavant consacrée aux clips de l’année écoulée et lors des éditions précédentes, une autre, “Clips d’hier”, était dévolue à la rétrospective d’un créateur, comme ce fut le cas pour Paul Thomas Anderson par exemple.
Comment parvenez-vous à opérez une sélection si resserrée parmi la pléthore de vidéos produites chaque année ?
J’effectue un travail de veille continu sur les productions actuelles de clips. J’en regarde une bonne quantité chaque semaine, parfois tous les jours pour être attentif à la création et plus globalement par goût pour la musique. Pour moi, c’est comme une récréation. C’est aussi un goût pour la musique, plus globalement. Je suis attentif à certaines sociétés de production qui font un travail remarquable, ainsi qu’à des créateurs que je suis avec curiosité.
Jordan Hemingway, par exemple, réalise tous les clips de FKA Twiggs dont on verra Strip-tease dans la sélection de cette année. Il a une patte et une singularité immédiatement reconnaissables. Damian Kulash réalise tous les clips d’Ok Go depuis longtemps dont celui de Love présenté dans cette sélection (visuel de bandeau). J’aime choisir des clips qui entretiennent des liens très directs avec l’industrie du cinéma. Par exemple, le clip pour Kompromat est réalisé par Léa Mysius, à qui l’on doit Les cinq diables. Et dans celui de Gamma Gamma , on voit l’acteur Willem Dafoe danser dans un bar pendant quatre minutes (photo ci-dessus). On pourrait se demander ce que le célèbre comédien vient faire dans un clip réalisé par Vasilis Katsoupis pour un groupe grec assez peu identifié ? Il s’agit de la connexion avec Yorgos Lanthimos, dont il est un comédien récurrent et dont les films sont régulièrement montrés au festival.
Ce choix vient de mon désir d’établir des liens avec la programmation du festival et ici, avec la projection de Mississipi Burning (Alan Parker, 1988), présent dans l’hommage à Gene Hackman et dans lequel joue Dafoe. C’est aussi ce qui m’a poussé à intégrer un des plus beaux clips de l’année, celui d’Étienne de Crécy pour Rising Soul, qui viendra jouer pendant le Festival au Quai M, la salle de musiques actuelles de La Roche-sur-Yon. Je suis très sensible à sa façon de travailler, avec Marie de Crécy, un rapport singulier entre la musique et les images qui joue sur un effet de boucle et de synchronisme entre rythme de la musique et des mouvements de danse.
On sent un effet de construction d’une forme de récit dans la progression de votre programmation. Il ne s’agit pas d’un simple collage, mais bien plus d’un montage…
Je cherche évidemment à ce que l’enchaînement semble logique, à créer un sentiment de cohésion. Comme pour toute programmation, je me demande toujours qui, dans le public, percevra cet effet de continuité. Une fois ce travail de défrichage opéré dans le travail d’attention à des créateurs visuels et musicaux et des sociétés de production remarquable, l’instinct joue beaucoup.
Je sélectionne entre 40 et 50 clips à partir desquels j’expérimente des combinaisons. Cela fonctionne vraiment sur une histoire rythmique. Il ne faut pas dépasser une heure : c’est la limite au-delà de laquelle, d’expérience, le spectateur est saturé d’informations visuelles et sonores et a besoin de s’aérer. L’idée est en effet de construire un récit, de voir comment ces clips peuvent être symptomatiques de l’année en cours, en dire certaines tendances esthétiques, parler d’un certain état du monde ou des tendances culturelles. Je m’intéresse à la façon dont cette sélection documente une année. J’aime dire que ça s’apparente à un long métrage dont chaque clip constituerait une séquence. Le programme se termine d’ailleurs par deux formats un peu longs et très narratifs très proches du court métrage. Je suis animé aussi par des raisons très personnelles et subjectives : j’ai choisi le dernier, Lilies and Sea, pour le pur plaisir de voir Tokyo sur grand écran.
Psycho Killer de Talking Heads, par Mike Mills.
Qu’est-ce que cela produit, justement, de faire migrer ces images sur un espace auquel elles n’étaient pas destinées ?
Je pense que cela crée un effet de nostalgie pour les générations qui ont grandi avec ces clips et qui les redécouvre de façon plus spectaculaire. C’était le cas d’un clip de Jamiroquai réalisé par Paul Thomas Anderson, présenté il y a quelques années et qui prenait une tout autre dimension en salle. Mais par-dessus tout, cela rend ces objets conformes à la manière dont les ont envisagés leurs créateurs qui, pour la plupart, pensent grand écran, tout en sachant que leur œuvre sera regardée sur un écran de télé ou sur un téléphone et dans un format ultra compressé sur les plateformes de type YouTube, ce qui uniformise beaucoup, aplatit l’image, fait perdre les nuances des noirs. Le grand écran leur redonne leur envergure originale.
Tout le programme de la 16e édition du FIF (13 au 19 octobre 2025) est à retrouver sur son site.
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