En salles 17/03/2025

La Guadeloupe à la loupe : Zion de Nelson Foix (ou quand le court devient long…)

Remarqué avec Timoun Aw en 2020, Nelson Foix en a repris et développé la trame pour son premier long métrage, Zion, qui sortira dans les salles de métropole le 9 avril, chez The Jokers Films (après avoir été distribué au préalable dans les territoires d’Outre-mer). Les deux films ont été intégralement tournés en Guadeloupe, où le jeune cinéaste a ses racines et où il s’est désormais installé.

Zion (à prononcer “za-yeun") fait partie du nombre non négligeable des films développés d’un format de court à un format de long métrage. Le court, c’était Timoun Aw, en 2020 (photo ci-dessous). Deux mots signifiants “ton gamin” et inscrits au feutre sur un morceau de carton déposé avec un bébé, dans un cabas, devant la porte d’un jeune Guadeloupéen vivant de petits trafics et enchaînant les conquêtes (sur son téléphone, les numéros de “bitches” se succèdent, ainsi énoncés, avec seulement un chiffre pour les différencier). Ce dilettante, c’est Chris, joué dans les deux films par Sloan Decombes, une découverte. Avec cette paternité qui lui tombe dessus de façon aussi inopportune – et évidemment non désirée –, son monde vacille. Il se met en quête de la mère de l’enfant (une petite fille dans le court, un garçon dans le long), alors qu’il est embarqué dans un enchaînement d’épisodes violents liées à ses activités de dealer.

Une odyssée nocturne qui le change, puisqu’il s’attache au bout de chou transporté dans son sac à courses, dans les rues d’une cité ressemblant à une cocotte-minute : Pointe-à-Pitre. Une parenthèse à ouvrir s’impose à ce stade, puisqu’un autre film sortant ce printemps, Magma de Cyprien Vial, montre lui aussi cette société ultramarine prête à exploser à la manière du volcan qu’il met également au cœur de son récit (la Soufrière, donc). Les deux films sont tournés en Guadeloupe, la différence majeure étant que Zion est “une histoire antillaise racontée par un Antillais” selon son réalisateur, né sur place et qui a grandi en région parisienne, à Bondy, avant de retourner vers l’île de ses racines.

Il y a dans son film les deux directions du film d’auteur et du thriller urbain, électrique, avec ses figures de mauvais garçons et caïds locaux, ses poursuites motorisées, ses symboles (Chris est orphelin de mère et n’a pas réglé cette absence au moment où il devient soudainement père). Il y a naturellement de nombreux points communs entre les deux films, le second reprenant la structuration du premier et certains personnages, comme celui de Lucie, une junkie des environs au rôle crucial au cœur de l’intrigue. D’autres figures apparaissent dans Zion, comme le père de Chris, vis-à-vis de qui le jeune homme a pris ses distances et qui l’aidera dans un moment périlleux de sa course folle.

Dans le film, les situations sont très plausibles, même en lorgnant vers le cinéma de genre, et le mélange du français et du créole (qui est majoritaire dans les dialogues) enracine ce sentiment. Il illustre aussi la montée en puissance de la production ultra-marine ces dernière années, sur le court et maintenant le long, en mettant en exergue les questions sociales d’une urgence absolue dans ces territoires, comme la spirale de l’échec – et d’un certain abandon de la part du pouvoir central – dans laquelle de larges franges de la jeunesse se sentent enfermées. Parmi les références de Nelson Foix, on trouve ainsi les polars afro-américains nerveux des années 1990 Menace 2 Society ou Boyz in the Hood : il y a pire parenté !

Christophe Chauville

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