Du court au long : Ariane Labed, l’équilibriste
Sélectionnée à Cannes pour chacune de ses réalisations, l’actrice Ariane Labed affûte son regard de cinéaste avec son premier opus long. September & July sort en salle ce 19 février, et creuse le sillon de son court métrage Olla. Décalage et sororité, frontalité et fantasme, singularité et hybridité.
Globe-trotteuse, polyglotte, pluridisciplinaire, Ariane Labed n’en finit pas de voyager en artiste sans frontières qu’elle est et reste. Française d’origine, grecque d’adoption, internationale de création. Son premier long métrage ne déroge pas à sa règle. C’est une coproduction irlando-britannico-franco-allemande. Lancée à Un certain regard à Cannes en mai dernier, lauréate du Hitchcock d’or au Festival du film britannique de Dinard, elle gagne donc les écrans hexagonaux en ce mois hivernal, avec un titre estival : September & July – rebaptisé pour la sortie française, le titre original étant September Says.
Mais ces mois sont avant tout des prénoms, ceux des frangines héroïnes du récit, tiré du roman gothique anglais Sœurs (Sisters, 2020) de Daisy Johnson. Une nouvelle histoire intense, décalée, autour de protagonistes qui font face à l’adversité, et qui avancent avec l’assurance du doute. L’assurance de prénoms qui donnent donc chaque fois le ton au film par son titre, car Olla désigne aussi le personnage central du court éponyme d’Ariane Labed, révélé à la Quinzaine des cinéastes 2019 (photo ci-dessous). L’identité se fait manifeste, clamé haut et fort, comme Olla marche dans les rues de sa nouvelle ville française, en défiant les regards et les harcèlements de rue, quitte à les prendre au mot. C’est chaque fois la femme qui décide, qui agit, qui guide le récit et le regard.
Le jeu mène la danse. Toujours. Olla choisit son destin et surfe sur le réel pour mieux joindre l’utile à l’agréable. September embarque July dans son fameux “September Says”. C’est l’option ici féminine de “Simon Says”, version anglophone de notre “Jacques a dit”. Une manière détournée pour l’aînée de mêler l’injonction au défi, la manipulation à la motivation. La sororité, ici littérale puisque les donzelles sont génétiquement sœurs, se double d’une rivalité, entre confrontation et effacement.
La réalité s’arrange comme elle peut aussi de l’imaginaire et des fantômes de la vie. Olla, campée avec aplomb par l’actrice ukrainienne Romanna Lobach, tente de triturer la réalité de sa bourgade de province à son arrivée de l’Est. La réalisatrice affranchit ses héroïnes des diktats, tout comme elle renouvelait les codes de jeu et d’incarnation dans ses deux premiers rôles à l’écran dans les ovnis Attenberg d’Athiná-Rachél Tsangári (2010) et Alps de Yórgos Lánthimos (2013). Le corps transpire l’expression par un investissement chorégraphique de l’espace et du cadre. L’occasion aussi pour ses jeunes interprètes, Mia Tharia et Pascale Kann, de se donner à toute une gamme d’incarnation pour camper les deux sœurs face à leur destin.
Avec ce souci de toujours allier gravité et légèreté, Ariane Labed a souhaité donner du grain à l’aventure humaine de September & July (photos ci-dessus et de bandeau) en la filmant en pellicule, un mélange de 16 et de 35 mm qui épouse l’évolution des protagonistes le long de ce conte ombré. Pour jouer aussi des reliefs des personnalités et des inscriptions dans les décors, à la fois intérieurs et à l’air libre. Balisant la trinité du teen movie (maison/école/extérieur), elle le secoue dans un shaker où les origines étrangères pimentent le pays filmé, tout comme elle-même enrichit et dynamite récits et plateaux internationaux qu’elle visite. Pas évident de créer une identité propre avec tout ça ? Et pourquoi pas ! La jeune cinéaste propose une patte, faite d’étrangeté loufoque et d’émotion sèche, où elle imbrique même des images subliminales, en investissant un cinéma râpeux et insolent, sans précipitation. La singularité fuit la joliesse, mais crée son charme à contre-pied. Par son sens du double, de la toxicité et de la charge mentale, dans une émotion contenue. Un équilibre sur le fil, pour trouver la note et la tenir. Ariane Labed ne choisit pas la facilité et défriche sa propre voie. Avec l’assurance de l’incertitude. Et c’est déjà beaucoup.
À lire aussi :
- Un monde violent : Maxime Caperan du court au long métrage.