En salles 05/01/2022

Yohan Manca du court au long : una furtiva lagrima

2022 s’ouvre notamment avec la sortie du premier long métrage de Yohan Manca, Mes frères et moi, présenté l’an dernier dans le cadre d’Un certain regard au Festival de Cannes.

Le premier long métrage de Yohan Manca apparaît comme une nette réussite, renouvelant le regard porté au cinéma sur les générations issues de l’immigration (ce qui est toujours remarquable) et touchant au cœur dans sa foi assumé en la puissance de l’art, au-delà des déterminismes sociaux.

L’exploration du motif semble tout particulièrement précieuse en ces temps de controverses plus caricaturales les unes que les autres : Nour, quatorze ans et fan de Pavarotti, découvre son attirance et bientôt ses belles dispositions pour le chant lyrique. Il devra défier les obstacles s’immisçant entre lui et cette passion naissante lui tendant les bras. Des blocages d’ordre culturel, sociaux, psychologiques. Est-ce là une perspective sérieuse pour un garçon ? Surtout au regard de la société, a fortiori au sein de sa “communauté” d’origine et, dans sa famille, par rapport à ses frères aînés, notamment le plus grand, Abel, qui entend prendre la place du père disparu et tenir fermement la baraque, alors que leur mère gravement malade vit ses derniers instants, en soins palliatifs à domicile.

Avec Mes frères et moi, Yohan Manca contourne habilement les clichés et slalome avec une certaine maestria sur la piste de son récit, surtout après qu’une ouverture se présente à Nour, à rebours des perspectives presque prédéterminées qui l’attendent, en la personne d’une prof de chant providentiellement placée sur son parcours alors qu’il effectue pendant l’été un travail d’intérêt général. Judith Chemla apporte à cette aérienne figure toute sa générosité et sa force de conviction, travaillant ainsi avec le réalisateur pour la troisième fois.

À chaque fois, son personnage se prénomme Sarah et un fil rouge relie par là-même trois œuvres plutôt différentes, chacune dans son propre registre : récit d’une rupture amoureuse non acceptée par un jeune homme et successivement relatée selon deux points de vue subjectifs et divergents (Hédi & Sarah), drame suivant un quinquagénaire broyé par l’impitoyable machine à désespoir économico-administrative (Étoile rouge) et roman d’apprentissage faisant l’élégie de l’éveil par la pratique artistique (Mes frères et moi).

À cet égard, la séquence dans laquelle Nour découvre tout un univers insoupçonné dans les coulisses du théâtre où il est venu voir Sarah se produire en public est littéralement merveilleuse, synonyme de la définitive cristallisation d’une vocation à un âge charnière, où les possibles ne sont pas forcément des évidences. Le fait que cette rencontre d’un jeune garçon avec une discipline artistique soit en large partie autobiographique pour le réalisateur, par ailleurs comédien au théâtre et au cinéma, ajoute une note d’émotion supplémentaire à l’aventure (car c’en est une, et une vraie…).

Christophe Chauville

À voir aussi :

- Hédi & Sarah et Étoile rouge, disponibles pour les abonnés de Brefcinema.

À lire aussi :

- Chloé Mazlo du court au long : Sous le ciel d’Alice en DVD.