En salles 16/04/2024

Victoria Musiedlak du court au long et d’une affaire à une autre

À découvrir au cinéma à partir du 24 avril, le premier long métrage de Victoria Musiedlak met en scène une avocate débutante incarnée par la jeune Noée Abita. Sa réalisatrice avait au préalable signé plusieurs films courts, dont L’affaire du siècle, bientôt disponible sur Brefcinema.

À vingt-six ans, Nora vient de débuter sa carrière dans un grand cabinet d’affaires parisien. Une nuit, son patron l’envoie à Arras afin de gérer une garde à vue qui ne doit être qu’une simple formalité. Chétive, la voix trop haut perchée, perdue, Nora se voit propulsée sur un malentendu à une place dont elle ne connaît rien. Face à Servan, un policier expérimenté (Anders Danielsen Lie, qui joue très bien les “méchants”), Nora a l’air tout aussi accusée que le prévenu qu’elle représente, un adolescent soupçonné du meurtre d’une camarade de classe de sa petite sœur.

Rentrant dans l’appartement de banlieue parisienne de ses parents où elle vit encore, elle leur raconte avec emphase l’excitation de la confrontation avec le policier, et celle de la prison. Tous ceux qui l’entourent travestissent la réalité et se composent tous un rôle plus avenant et plus respectable que ce qu’ils sont dans la réalité : Jordan ment sur ses origines familiales, Servan omet de mentionner qu’il est marié… et la famille de Nora, qui a fui l’Algérie, porte avec elle les secrets de la disparition d’une tante morte durant les années noires. Seule Nora laisse la naïveté et l’égocentrisme de ses émotions éclater au grand jour.

Il est beaucoup question de fiction de soi-même dans le récit d’apprentissage que constitue le premier long métrage de Victoria Musiedlak, qui a muri sa mise en scène durant ses années de première assistante réalisatrice. Chacun des quatre courts métrages de la cinéaste apparaît comme l’expérimentation d’un des motifs de Première affaire. Laetitia 35 (2022) semble en explorer la séquence d’ouverture où Nora s’ennuie ferme dans une fête où sa meilleure amie (Louise Chevillotte) irradie d’aisance et de joie. Ce duo de filles se délite dans l’affirmation de soi de Nora. En abordant les injonctions du doublé mariage/maternité faites aux jeunes trentenaires, Laetitia 35 explore la complicité de trois copines durant une fête d’anniversaire.

Maman et Une heure ou une nuit (2012) s’attachent quant à eux à observer des relations familiales toxiques. Dans Maman (2015), Judith Chemla et Béatrice de Staël incarnent une mère et une fille qui, le temps de la traversée d’un parc dans le centre-ville de Dijon, se heurtent aux non dits qui ont creusé entre elles un fossé. C’est le même type de relation de dépendance faite de tendresse et d’étouffement qui unit puis sépare Nora et sa mère.

L’affaire du siècle (2018) met en scène la garde à vue d’une commerçante accusée du meurtre de son mari. Son avocat maladroit et brouillon, joué par Esteban, cherche la complicité des deux policiers qui l’interrogent, mais ne fait que buter sur des imprévus qui embourbent sa cliente au lieu de l’innocenter. La scène traite de façon comique ce que Première affaire va jouer sur le mode du polar.

Face à Sevran avec qui elle noue une passion sexuelle éphémère, à Jordan et à son patron (François Morel à contre-emploi dans un rôle d’animal à sang froid), Nora se métamorphose. De petite chose fragile, elle mue en une silhouette au pas décidé, la voix affermie. La rapidité de sa transformation au contact de la violence de la société dévoile que pour ne pas être dévorée toute crue, elle a troqué son sens moral contre une habilité à utiliser le droit pour gagner la partie.

Raphaëlle Pireyre

À voir aussi :

- Noée Abita dans L’âge tendre, de Julien Gaspar Oliveri, disponible actuellement sur Brefcinema.

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