Cahier critique 30/11/2021

“Maman” de Victoria Musiedlak

Une promenade au square entre une mère et sa déjà trop grande fille. Un bref instant pour raconter les ambivalences, les liens complexes qui les unissent et les désunissent.

Parfois, un face-à-face entre deux acteurs ou actrices constitue un argument suffisant à faire savourer pleinement un court métrage qui s’appuierait sur un fil narratif que l’on pourrait juger ténu à première vue. C’est en partie le cas de Maman, qui met simplement en présence une mère et sa fille, à la sortie du travail de la seconde. Celle-ci, Elsa, n’est guère ravie de voir débarquer ainsi sa génitrice qui, de toute évidence, l’agace prodigieusement et qu’elle emmène au jardin public tout proche pour tenter de supporter l’épreuve. Comme c’est l’excellente Judith Chemla qui incarne cette jeune femme au bord de la crise de nerfs, le film tient solidement, d’autant que la plutôt rare Béatrice de Staël lui donne vaillamment la réplique, en mère pénible – mais finalement pas plus que la moyenne. 

L’écriture parvient rapidement à renvoyer vers des sensations universelles : la première réaction d’Elsa en apercevant sa mère est de se planquer, même en pure perte, juste atterrée de prendre conscience que le reste de sa journée ne se déroulera pas comme elle l’escomptait. L’affrontement qui s’en suit est assez drôle et chacun(e) s’y reconnaîtra : la mère radote de vieux souvenirs, sans doute déjà énoncés mille fois, provoquant l’ironie de sa fille : “Hé, Georges Perec, tu te dépêches ?”. Ce qui n’empêche qu’on pourra aussi trouver excessive, sinon odieuse, la dureté d’Elsa, qui se fait injurieuse (via un “Ta gueule !” qui sort furieusement des limites de la bienséance familiale). 

Dans ce jeu de massacre, l’incursion imprévue d’un tiers sert de révélateur, celle d’un ancien condisciple de fac (joué par le toujours excentrique Estéban) traversant le parc avec son rejeton et mettant mal à l’aise Elsa, ne rebondissant pas sur ses blagues de fille cool, qui tombent à plat, et la renvoyant à son état de célib’ sans enfant. Fragilisée, la trentenaire prend conscience de ce qui la lie à l’auteure de ses jours, tout d’un coup aussi perdue qu’une gamine n’ayant plus ses parents dans son champ de vision. La séquence serait-elle marquée par une sur-dramatisation ? Elle synthétise surtout ce rapport familial étrange que l’on éprouve, une fois adulte, entre irritation presque épidermique et crainte de la séparation annoncée, inéluctable et ouvrant la boîte de Pandore de tous les regrets. 

Christophe Chauville 

France, 2016, 13 minutes.
Réalisation : Victoria Musiedlak. Scénario : Élise Benroubi et Victoria Musiedlak. Image : Damien Dufresne.
Montage : Aurélien Manya. Son : Joseph de Laâge et Benjamin Laurent. Interprétation : Judith Chemla, Béatrice de Staël et Estéban. Production : Palikao Films.