En salles 21/04/2022

Puisqu’on est jeunes et pas cons (Le monde après nous de Louda Ben Salah-Cazanas)

Après plusieurs courts métrages, le réalisateur trentenaire met en scène un séduisant duo d’interprètes dans son premier long, distribué cette semaine par la jeune société Tandem.

Parmi les (nombreuses) sorties de cette semaine nous conduisant au second tour de l’élection présidentielle, Le monde après nous s’impose, avec son titre nous propulsant vers l’avenir, lourd de sens. Le premier long métrage de Louda Ben Salah-Cazanas lance ainsi un clin d’œil, comme le reconnaît volontiers le réalisateur, au roman de Nicolas Mathieu Leurs enfants après eux (Prix Goncourt 2019), et on pense en effet à ce qu’il en sera des jeunes générations dans ce contexte économique, social et environnemental qui semble s’aggraver toujours plus.

Dans le film, c’est même déjà l’enjeu d’aujourd’hui pour Labidi et Élisa, jeune couple d’amoureux confronté à la précarité et à des ambitions vite douchées pour lui, celle de devenir écrivain. Parviendra-t-il à toucher du doigt ses rêves ? On peut voir facilement le personnage comme un double du cinéaste, d’autant que c’est Aurélien Gabrielli – l’un des excellents “mauvais garçons” d’Élie Girard – qui en tient le rôle, travaillant ainsi à nouveau sous la direction de l’auteur, après Genève (2019).

Ce court métrage flirtait avec le film de genre, un jeune homme se livrant à des casses pour trouver de quoi soigner sa mère malade. Il rencontrait sur ce chemin heurté une fille, jouée par Alice de Lencquesaing, et la prenait en otage. La configuration est différente dans Le monde après nous, où celle dont il tombe amoureux, et vice-versa, est étudiante, jouée par la toujours très cinégénique Louise Chevillotte, révélée principalement par Philippe Garrel.

Autour d’eux, on retrouve notamment Jacques Nolot et Saadia Bentaïeb en parents – très touchants – de Labidi, dont les origines sont tunisiennes, ou encore la réalisatrice Isabelle Prim, déjà passée devant la caméra de Ben Salah pour le peu connu De plomb (2017).

La jeunesse contemporaine et ses soucis spécifiques à l’ère 2.0, on avait déjà vu le motif poindre en partie dans #PourAlex, en 2015 (photo ci-dessous), où une lycéenne était recluse chez elle après un incident dont la nature se découvrait peu à peu au gré d’une succession de séquences mettant en scène des amies d’Alexandra, un conseil d’établissement réunissant ses profs et une conversation téléphonique de sa mère. Un incident ? En fait, le drame d’un viol, suscitant sur les réseaux sociaux des propos réconfortants ou au contraire agressifs et dégueulasses.

Une construction morcelée annonçant, sur un registre formel assez distinct, la structure narrative de ce premier long jouant délibérément sur des ruptures de ton, au rythme d’allers-retours entre deux villes (Paris et Lyon), à l’image de ces hésitations constantes au moment de rentrer dans l’âge adulte, ce qui est exactement le cas de Labidi. Son itinéraire initiatique, qui passera par le carcan de l’ubérisation lorsqu’il accepte un job de livreur, parlera à beaucoup, et sa façon de s’en sortir malgré tout laissera quelque espoir pour envisager le “monde après nous” qui se joue naturellement dès maintenant.

Christophe Chauville

À voir aussi :

- Aurélien Gabrielli dans Les mauvais garçons d’Élie Girard, disponible actuellement sur Brefcinema.

À lire aussi :

- Un autre premier long du printemps 2022 : Tropique de la violence de Manuel Schapira.