En salles 25/03/2022

L’île des enfants perdus : Tropique de la violence

Le premier long métrage de Manuel Schapira, auteur de plusieurs courts métrages remarqués par le passé, est à voir au cinéma cette semaine. Un film-choc sur l’île de Mayotte aujourd’hui et une vraie réussite de cinéma.

Tropique de la violence, c’est à l’origine un livre, signé Nathacha Appanah et paru en 2016 chez Gallimard, que Manuel Schapira a choisi d’adapter, pour son premier long métrage, en compagnie d’une autre romancière : Delphine de Vigan. Le livre comme le film nous entraînent donc à Mayotte, présenté – à raison – comme le “département le plus pauvre de France”. On ne se rend d’ailleurs pas réellement compte à quel point et cette réalité saute à la figure dès les premières minutes du film… 

L’introduction saisit en effet au col, avec ces migrants débarquant de nuit des Comores voisines, dans une pagaille indescriptible, et ce bébé abandonné par sa mère, à peine pubère, avant d’être récupéré par une bénévole d’association qui l’adoptera et l’élèvera. L’enfant sauvé des eaux s’appelle Moïse et le film suit ses pérégrinations au moment de son entrée dans l’adolescence, après que cette mère adoptive dévouée (jouée par Céline Sallette) soit victime d’un AVC fatal sous ses yeux…

Ayant par accident intégré un gang d’enfants et jeunes gens en perdition, Moïse affronte la violence au quotidien, sa vie étant devenue effroyablement difficile – c’est un euphémisme de l’écrire. Et Schapira de retrouver sa faculté incomparable à montrer dans toute sa crudité/cruauté l’irruption de cette violence, une dizaine d’années après Les meutes (dans un tout autre contexte, en plein Paris, mais avec une âpreté comparable). 

Ce court métrage qui faisait partie des finalistes de la catégorie aux César 2013 a déjà été proposé aux abonnés de Brefcinema, couronnant un parcours très probant du cinéaste dans le format court depuis la fin des années 1990 et dans des registres assez contrastés, passant par l’intimiste La fille de l’homme (2010) ou la comédie douce-amère Décroche, interprétée par la toujours convaincante Laetitia Spigarelli en 2006. 

Avec Tropique de la violence, il franchit enfin le pas du long métrage, avec beaucoup de maîtrise et de force, mais aussi de respect pour ses personnages, leur basculement dans l’illégalité et, parfois, dans une éprouvante inhumanité étant observé et exploré avec honnêteté et lucidité (le réalisateur évoque le fameux film brésilien La cité de Dieu comme possible comparaison). Les candidats à la fonction suprême, en ce printemps 2022, devrait d’urgence voir ce film sans concession dressant un tableau d’un Outremer laissé pour compte de manière totalement indigne.

Christophe Chauville

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