Louise Hémon du court au long : L’engloutie, Prix Jean-Vigo 2025
C’est très en amont que nous voulons attirer l’attention sur ce premier long métrage signé Louise Hémon, qui sortira le 24 décembre prochain. Présenté à la Quinzaine des cinéastes, à Cannes, au mois de mai dernier, il a ensuite été distingué du Prix Jean-Vigo 2025 au début de l’été.
Présenté à la Quinzaine des cinéastes 2025, L’engloutie, premier long métrage de Louise Hémon, offre à Galatéa Bellugi son premier grand rôle principal au cinéma. Révélée dans L’apparition de Xavier Giannoli (2018) et revue notamment dans Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand (2023), l’actrice incarne ici Aimée, une jeune institutrice envoyée à la fin du XIXᵉ siècle dans un hameau perdu des Hautes-Alpes. Hémon filme moins le corps de la République que les mouvements de l’âme et les soubresauts du désir de la jeune femme. Le visage d’Aimée, inquiet et lumineux, rappelle la Thérèse d’Alain Cavalier. D’autant que la lumière, signée Marine Atlan (Jessica Forever, Nos cérémonies, Le ravissement), sculpte à la bougie un clair-obscur inspiré de Georges de La Tour.

Le titre énigmatique se comprend sans explication. L’engloutie, c’est d’abord cette institutrice coincée dans ce hameau isolé par la neige et qui arrive la sacoche pleine de bonnes volontés républicaines. Puis ce pourrait être encore et toujours la même jeune femme qui, au fil des jours, se trouve happée par une autre force, contaminée par l’irrationnel – moins celui des villageois que celui gisant en son cœur. Inspirée par des récits familiaux (une arrière-grand-tante institutrice, un grand-père montagnard), coécrite avec Anaïs Tellenne (réalisatrice de L’homme d’argile), la fiction évite l’écueil du folklore. Hémon s’attache à l’intériorité, au frémissement du corps. Le scénario est celui d’un film d’ambiance, charnel, arrimé à la naissance du désir féminin. Un coming of desire…
Le choix du cadre format 4/3 se révèle pleinement adapté à la forme tant du huis clos que de la géométrie de l’espace. La métaphore de la montagne, verticale, vorace, grave et mystérieuse – avec sa blancheur, ses reliefs, sa grotte, ses glissades, ses coulées et ses avalanches nocturnes – dessine tout un paysage mental. La présence d’un livre d’école, Descartes (auteur d’un Traité des passions) comme brise-glace du trouble nous commande de conclure en philosophant : est-il si sorcier d’aimer ?

Avant ce premier long métrage, Louise Hémon a signé plusieurs films : courts et moyens métrages de fiction et de documentaire. Parmi lesquels Le dernier débat (2020), un court métrage coréalisé avec Émilie Rousset : un montage dialogué de plusieurs grands face à face de l’élection présidentielle française, interprété par des comédiens (Emmanuelle Lafon et Laurent Poitrenaux) murés dans un bunker. Et surtout le Voyage de documentation de Madame Anita Conti, un documentaire qui nous rappelle qu’avant la montagne dans L’engloutie, la réalisatrice a d’une certaine manière “filmé” la mer, autre champ d’exploration métaphorique.

Des fonds marins aux hauteurs alpines se poursuit un même geste : filmer la matière du monde. À travers ce Voyage de documentation…, la réalisatrice travaille autour des archives mais cette fois, elle se les approprie en tant que matière même de son film, sortant de l’oubli les rushes et les textes de l’océanographe cinéaste Anita Conti.
Cette chercheuse passionnée (que l’on redécouvre aujourd’hui) est la seule femme à avoir assisté à la pêche à la morue à Terre-Neuve. Parmi ses nombreux voyages, celui de 1952 est resté dans les annales puisqu’elle l’a filmé et mis en récit à travers son premier livre, un trésor : Racleurs d’océans. Le mot “racleur” dit à lui seul toute l’ambivalence du geste. Conti pressent la nécessité de préserver ce qu’elle filme, tout en scrutant, avec une acuité rare, les gestes et les visages des marins. Chacun occupe une place, non une fonction. Ce sont ses images que Louise Hémon fait revivre en un montage en réseau aussi mélodique que sensuel. Le portrait d’une femme hors norme se double d’un bouleversant chant de la mer qui nous embarque au cœur de l’ivresse des hommes, face à l’océan, face à leur propre condition.
À lire aussi :
- Sur un court métrage d’Anaïs Tellenne, coréalisé avec Zoran Boukherma : Le mal bleu.


