Une jeunesse toute en ambigüités : Émilie Aussel du court au long
Émilie Aussel creuse encore un peu plus le sillon de ses différents courts en passant à un format de (court) long métrage avec L’été l’éternité.
Émilie Aussel s’est affirmée dans le paysage du jeune cinéma français à la faveur de plusieurs courts métrages composant une œuvre naissante des plus cohérentes, depuis L’ignorance invisible, produit par le Grec en 2009. Ses films mettent tous en scène des jeunes gens, pas forcément sortis de l’adolescence ou bien en passe de le faire, dans un registre de docu-fiction dans Do You Believe in Rapture ? (que Brefcinema propose en ligne à partir de cette semaine) ou en ancrant la narration dans la fiction, de manière très différente, sinon contrastée, avec Petite blonde et Ta bouche mon paradis, tous deux diffusés sur notre plateforme par le passé.
Présenté en 2021 au Festival de Locarno, L’été l’éternité – long métrage d’une durée d’une heure quinze seulement – entretient un lien évident avec Petite blonde : également tourné à Marseille, où vit la réalisatrice et où est installé son fidèle producteur, Shellac Sud ; axé autour d’un groupe de jeunes gens se prélassant sur la plage. On se tourne autour, on se bâche et on se provoque dans le court, où un élément exogène sème la confusion en la personne du personnage désigné par le titre, Angélique, issu d’un milieu privilégié fascinant ou irritant, au choix, les membres de la bande qu’elle tente d’approcher, faute de s’y intégrer. Le groupe de L’été l’éternité semble plus harmonieux, composé d’amis de longue date et dont certains sont amoureux, tels Lise et Malo.
C’est un drame inattendu qui le frappe et le fissure, avec l’irruption de la mort, accidentelle et implacable, cruellement injuste, faisant basculer les esprits dans une dimension existentielle imprévue. Ainsi, l’atmosphère idyllique, “kéchichienne” en un mot, du début du film s’estompe-t-elle brutalement, glissant vers une âpreté se traduisant pour Lise par une perte de tous les repères et un glissement dans une dépression de plus en plus prégnante. L’amertume de certaines désillusions s’exhalant de Ta bouche mon paradis se creuse un peu plus, à travers une écriture introspective à nouveau assumée de concert par Émilie Aussel et la romancière Emmanuelle Bayamack-Tam, rejoints cette fois par une troisième plume : Yacine Badday.
Lise grandit d’un coup, du moins sur l’intervalle des quelques semaines qui suivent la noyade de son amie Lola, quasiment une sœur, en changeant tous ses plans de vie, prématurément tracés (dans sa relation avec Malo ou dans ses projets d’étudiante) et l’insouciance de la jeunesse d’abord dépeinte se mue en désarroi que chacun exprime comme en confidence au gré de parenthèses filmées face caméra, où les cœurs se voient sondés au plus profond, pour une polyphonie de voix et de visages finalement déchirante. L’été l’éternité, on y a tous cru à un moment donné…
À noter deux séances en compagnie d’Émilie Aussel ce week-end à Paris, au cinéma le Saint-André des Arts : samedi 7 à 18h (projection de L’été l’éternité et Do You Believe in Rapture ?, suivie d’une discussion de la réalisatrice avec Agathe Bonitzer), et dimanche 8 à 16h, pour une séance spéciale courts dont Brefcinema est partenaire et composée de L’ignorance invisible, Petite blonde, Ta bouche mon paradis et le tout récent Rose (2021, 8 minutes).
Événement Facebook pour les réservations.
À lire aussi :
- L’été l’éternité, présenté à Premiers plans, à Angers, en 2021.
- Un entretien avec Émilie Aussel dans Bref n°122, en 2018.