Cahier critique 20/08/2018

"Petite blonde" d’Émilie Aussel

Cap’ ou pas cap’ ?

Avec ces brefs moments qui réunissent quelques adolescents sur des rochers de béton marseillais qui surplombent une Méditerranée estivale, Émilie Aussel semble privilégier les sensations et les ambiances. Saisir la chaleur du soleil, le temps d’hésitation avant de sauter dans la mer du haut d’un rocher, l’effet de la plongée regardée depuis les fonds marins, la lumière d’une fin d’après-midi, le goût des joutes verbales, tout cela lui importe plus que de boucler un récit. 

Certes, Petite blonde raconte une rencontre entre une jeune bourgeoise – elle dit se prénommer Angélique – et quelques cacous. Leurs formules et leur accent désignent clairement leur origine quand bien même l’influence de ce parler (“t’es sérieux là ?”, “Tranquilou”, “ça s’appelle prendre un blanc”) et de ce ton qui mime vite l’agressivité, mâtiné ici d’une couleur marseillaise, se sont répandus bien au-delà des banlieues populaires qui semblent les avoir vu naître. Ce verbe et ces intonations signent leur appartenance au groupe et les conduisent, par là-même, à rejeter, avec des préjugés similaires à ceux que la société établie peut avoir à leur égard, une petite bourgeoise en vacances qui tente de se joindre à eux. Mais le conflit de classe, qui se double d’une tension ethnique – “espèce de petite française”, lance une des jeunes filles du groupe à la blonde à la peau bien blanche – apparaît plus comme un prétexte. L’essentiel est ailleurs, plus incertain.

Comment restituer au plus juste une scène pendant laquelle des adolescents se racontent des histoires sans importance, tuent le temps en se chambrant gentiment les uns des autres pour prendre de l’ascendant ? Comment raccorder ce moment avec le regard d’une jeune fille censée les contempler ? Quelle distance est figurée dans ce raccord ? Comment change-t-on de point de vue ? sont quelques-une des questions auxquelles la réalisatrice se confronte comme si elle faisait des gammes.

Émilie Aussel ne cherche pas à clore son histoire, elle la laisse ouverte, suspendue, à l’image de cet instant furtif, quand Noé hésite à prendre la main d’Angélique avant qu’ils s’élancent du haut du rocher. 

Jacques Kermabon

 

Réalisation et scénario : Émilie Aussel. Image : Mathieu Bertholet. Montage : Enrica Ordonneau Gattolini. Son : Jean-Michel Tresallet, Pierre-Allain Mathieu, Josefina Rodriguez et Pierre Armand. Musique : Postcoïtum. Interprétation : Angélique Pagnon, Noé Bengorine-Chaumeil, Hamza Baggour, Sabrina Benhamed, Noémie Casari, Mamadou Doumbia, Adam Pringuet et Faris Tighilt. Production : Shellac Sud / GREC.

 

Entretien avec Émilie Aussel au Festival du cinéma européen en Essonne Cinessonne 2014 – Passeurs d'images