En salles 16/03/2022

Bruno Reidal, confession d’un meurtrier : Vincent Le Port du court au long

Présenté à la Semaine de la critique lors du dernier Festival de Cannes, Bruno Reidal fait le portrait d’un séminariste de 17 ans qui, en 1905, s’est livré à la police après avoir sauvagement tué un camarade. Premier long métrage de fiction de Vincent Le Port, le film explore ce fait divers à travers les écrits d’époques qui le relatent et questionne la circulation du Mal.

On est d’emblée frappé par la qualité littéraire de l’introspection de Bruno Reidal, lue en off par la voix sans affect de Dimitri Doré, qui incarne le jeune homme à dix-sept ans. Avant lui, deux comédiens plus jeunes ont prêté leurs traits au fils de fermier discret, toujours bon élève, qui intègre le séminaire mais que ses pulsions sexuelles, sadiques et morbides ne quittent plus. Ce flot de parole a été initié par le Professeur Lacassagne, criminologue curieux de l’écart entre la sauvagerie de son acte et l’apparente soumission d’un élève toujours obéissant.

Témoignage historique de la vie d’une famille paysanne du Cantal au début du XXe siècle où les décès naturels des enfants voisinent avec la mise à mort des animaux, le récit que Bruno Reidal consigne sur des cahiers d’écolier depuis sa prison est aussi une analyse sociologique et psychologique d’une grande finesse. Proche de Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur mon frère… de René Allio (1976) qui s’appropriait aussi un cas criminel narré par son auteur et étudié par Michel Foucault.

Quelque chose de la douleur du transfuge de classe, mais aussi de la répression de l’homosexualité, passe dans le récit de ce garçon au visage impassible, au caractère calme et mutique, qui livre avec honnêteté et lucidité les fantasmes obsédants qui l’ont conduits au passage à l’acte. Les débuts de la psychanalyse et de l’anthropologie criminelle affleurent dans ce retour sur soi autant que dans la confrontation avec les médecins et Vincent Le Port fait de cette reconstitution historique un portrait profondément humain.

Cette parole débridée pour dire un hiatus entre soi et le monde était déjà à l’œuvre dans Dieu et le raté (2017), documentaire tourné en quelques jours par Vincent Le Port avec Vincent Cardona (récipiendaire depuis lors du César du “meilleur premier film” pour Les magnétiques), qui zone sur un rond-point près de Rennes et psalmodie, déroulant sa parole sur des zones péri-urbaines. Film confidentiel peu diffusé, tourné sans attaches, comme son personnage. Pour produire librement, Vincent Le Port a fondé en 2012 la société Stank avec Roy Arida, Louis Tardivier et Pierre-Emmanuel Urcun, qui produit essentiellement des documentaires, et surtout des films de proches. Depuis sa sortie de la section réalisation de la Fémis, le cinéaste a tourné une dizaine de courts métrages, alternant les formes et les genres.

La monstruosité, la figure effrayante tapie dans l’ombre, y fait pourtant figure de fil rouge. et la psyché réfléchie de Bruno Reidal met à distance la monstruosité de son acte meurtrier. Dans Le gouffre, le monstre était une créature bien réelle, recluse dans les souterrains d’un petit village du Finistère et repoussée à l’extrémité du film. Ce moyen métrage récompensé en 2016 du Prix Jean-Vigo est inspiré d’un récit puisé dans le pléthorique roman Les détectives sauvages de l’auteur Roberto Bolaño. Ce récit fantastique suit dans un noir et blanc très contrasté, porté par d’amples mouvements de caméra chorégraphiés, les pas de Céleste, dont la légèreté et la constante l’empathie en font l’envers absolu de Bruno Reidal.

En ce dernier jour de la saison, la jeune femme accueille des touristes allemands dans le camping de son oncle où elle déambule, avec douceur, un brin d’ironie, et surtout un refus de se laisser aller à la peur inspirée par les légendes du lieu. Le sacré, la mythologie, imprègnent sa descente dans le labyrinthe souterrain où s’est perdue la fillette du couple germanique, même si elle rompt le fil auquel elle s’est attachée pour retrouver le chemin du retour à la surface. Refusant d’être Ariane, elle croise pourtant le Minotaure qui donnait déjà son titre au premier court du réalisateur.

En même temps que Bruno Reidal, confession d’un meurtrier, on découvre La marche de Paris à Brest, remake du film expérimental La marche de Munich à Berlin tourné par Oskar Fischinger en 1927. Concaténation d’une pérégrination d’un mois durant, le film compile en quelques minutes les souvenirs de paysages et personnes croisées en chemin, le montage saccadé faisant sautiller l’image à la manière de la danse bretonne qui l’accompagne et qui dit bien la joie du cinéaste à ne pas se lasser de fabriquer des images et regarder le monde.

Raphaëlle Pireyre

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