En salles 15/05/2025

Jean Cocteau, poète du cinéma

Cent ans après le premier essai cinématographique de Cocteau, officiellement perdu (et vraisemblablement détruit), le distributeur Splendor Films honore le grand artiste à travers deux œuvres à voir ou revoir à partir du 21 mai en version restaurée : Le sang d’un poète, son premier film (qui est un moyen métrage), et Le testament d’Orphée, qui clôt la carrière du cinéaste. Pour l’occasion, nous publions à nouveau un texte initialement paru, sur le premier cité, dans Bref en 2003.

En un autre temps, il était possible de se voir confier un million de francs de l’époque alors que l’on n’avait pratiquement jamais fait de cinéma. Ce fut la chance de Jean Cocteau dont le premier film – tout comme L’âge d’or de Buñuel au même moment – fut intégralement financé par le Vicomte de Noailles, qui lui avait d’abord commandé un dessin animé.

Le sang d’un poète vient en fait après un essai invisible de 1925 malicieusement intitulé Jean Cocteau fait du cinéma. Ce titre, donné en hommage aux films de Chaplin, traduit bien l’approche de l’auteur pour ce qu’il appelait le cinématographe. Ayant toujours revendiqué son amateurisme et son goût pour l’artisanat, il expliquait par exemple très honnêtement que certaines de ses trouvailles étaient plus le fait d’heureux hasards que celui de géniales inspirations : “Je n’ai été totalement libre que dans Le sang d’un poète parce que c’était une commande privée (...) et que j’ignorais tout de l’art cinématographique. Je l’inventais pour mon propre compte et l’employais comme un dessinateur qui tremperait son doigt pour la première fois dans l’encre de chine et tacherait une feuille avec.”

Pour Cocteau, dont le film suivant ne viendra que quinze ans plus tard, filmer, c’était comme écrire ou peindre ; c’était choisir le cinéma comme il aurait pu opter, face à telle histoire, pour le roman ou pour la pièce de théâtre. En faisant du cinéma, Cocteau s’essayait à une nouvelle forme, il s’en emparait et jouait sans complexes et sans a priori avec les possibilités visuelles et sonores qu’elle lui offrait. Ce qui explique que les trucages soient ici exhibés comme tels et que, d’emblée, Cocteau se situe dans l’artifice et dans la lignée d’un Méliès.

Chez Cocteau, les trucages, nombreux, sont toujours filmés en direct, devant la caméra, et, au fil des expérimentations, de remarquables intuitions de mise en scène se mêlent à sa foisonnante inspiration poétique. Dans Le sang d’un poète, comme dans ses films suivants, son art tiendra beaucoup de celui du prestidigitateur, le cinéma et le montage lui permettant de concrétiser et d’améliorer des "effets" encore balbutiants lorsqu’ils étaient prévus pour théâtre (voir les indications de mise en scène pour les passages de miroirs de la pièce Orphée en 1926).

Cependant, si Le sang d’un poète doit être vu avant tout comme la rencontre de l’artiste avec un nouveau moyen d’expression, il est aussi un film charnière en cela qu’on y retrouve, sous une nouvelle forme, la bataille de boules de neige du roman Les enfants terribles et que l’on y reconnaît déjà les trucages de La belle et la bête ou d’Orphée (le travelling suivant la Belle dans le château rappelle celui accompagnant le poète juste après sa traversée du miroir ; le jeu sur la surface plane des miroirs et l’utilisation de décors en faux-semblants dans Orphée citent l’errance du poète dans les couloirs de l’Hôtel des folies dramatiques, etc.). Malgré tout, Le sang d’un poète ne marque pas un réel revirement dans la carrière de Cocteau.

Après ce premier film, il retournera bien au cinéma mais ne s’y consacrera jamais totalement. “Le cinématographe n’est pas mon métier. Je veux dire que rien ne m’oblige à faire film sur film, à chercher des interprètes pour des sujets et vice-versa (...). Il est plus facile de faire un film de temps en temps, lorsqu’on en a une envie impérieuse, que d’être tenu à une course aux livres, aux pièces et à se creuser la tête pendant le tournage d’un film pour résoudre le problème du film qui doit suivre." Revoir Le sang d’un poète aujourd’hui atteste de l’incroyable liberté que, le temps d’un film, Cocteau eut entre les mains. Terrain d’inventions formelles constantes, ce film qui provoqua la défiance des surréalistes annonce en tout cas une poignée d’œuvres qui, bien que produites dans un cadre plus classique, confirmeront avec éclat la place à part de Jean Cocteau dans l’histoire du cinéma mondial.

Stéphane Kahn

Texte paru dans Bref n°58, 2003.

À lire aussi :

- Sur La voix humaine de Cocteau, portée à l’écran par Almodóvar.

- Sur un héritier – portugais – de Cocteau, Carlos Conceiçao, réalisateur de Mauvais lapin.