Cahier critique 22/05/2019

“Mauvais lapin” de Carlos Conceiçao

À quoi ça sert de tant s’aimer...

Le dernier plan de Mauvais lapin, qu’imprime sur la rétine un “cut” saisissant, est poignant, permettant de mesurer toute la profondeur du lien existant entre Miguel et Clara. Ceux-ci, frère et sœur, ont quasiment le même âge. Encore adolescents ou bientôt jeunes adultes, ils sont très proches, vivent de ludiques préoccupations, dansent des slows… Ils prennent encore leur bain ensemble et flirtent aussi parfois avec les interdits. Il faut dire que Clara (jouée par Julia Palha, révélation de John From, de João Nicolau, et mannequin) est magnifique, subjuguant son frère, qui se montre d’autant plus serviable, toujours aux petits soins avec elle, que la jeune fille est malade. Gravement. Elle n’en a même plus pour très longtemps… Et Miguel donnera à Clara, pendant qu’il en est encore temps ce qui lui manque : une première fois avec un homme, puisqu’il ne peut aucunement être celui-là…

Il y a d’évidence un univers proche de celui de Cocteau en toile de fond de la chronique de ces “enfants terribles” décalés de la réalité et vivant en vase clos, dans leur chambre vieillote ou une cabane dans les arbres, autre vestige d’une enfance qui entend perdurer. Les pelucheuses oreilles de lapin que revêt Miguel traduisent aussi un refus inavoué de grandir, sorte de syndrome de Peter Pan, même si ses désirs affirmés entérinent l’entrée dans un autre âge.

Le conte de fées sciemment composé par Carlos Conceiçao couve sa dimension fantastique et nocturne, intégrant le motif de la maladie (Clara porte souvent un masque à oxygène relié à une bonbonne), romantique par essence. L’issue est certaine, il n’y a plus pour le tandem qu’à préserver ce qui existe, sans penser au reste. Ce que médiatise la chanson utilisée à deux reprises, un titre de Christophe – en français, donc, car c’est la “langue de l’amour” : “À ceux qu’on aime”, avec son implacable signification de la fin de toutes choses.

La beauté de Mauvais lapin réside en partie dans l’équilibre trouvé pour échapper à telle ou telle situation scabreuse, derrière une imagerie portant souvent fétichiste – voir le masque en cuir, au museau de loup, de Miguel. Et ce dernier, en personnage-titre, loin de tout penchant condamnable, prépare en réalité un acte d’amour ultime envers celle qui reste l’objet unique de ses fusionnels sentiments et de ses pulsions.

“Un beau matin, c’est terminé”, chante Christophe. Et le cœur en peine de ce garçon, immédiatement, nous plonge dans la compassion et la mélancolie.

Christophe Chauville

Réalisation et scénario : Carlos Conceiçao. Image : Vasco Viana. Montage : Antonio Goncalves. Son : Rafael Goncalves Cardoso et Xavier Thieulin. Interprétation : João Arrais, Julia Palha, Matthieu Charneau et Carla Maciel. 
Production : Epicentre films.