DVD 12/04/2021

Un cortometraje de… Almodóvar

Le film court tourné en 2020 par le maître espagnol avec une nouvelle venue dans son univers, Tilda Swinton, est depuis quelques jours à savourer – et admirer – en DVD.

Almodóvar et le court métrage, l’histoire était finie, ou presque, depuis plus de trente ans et la série de films tournés en Super-8 dans le Madrid de la Movida, cette période d’effervescence culturelle où le trublion avant-gardiste se fit un nom en Espagne avant même de tourner son premier long métrage.

L’événement était donc de taille, largement relayé dans les médias au moment du premier confinement : après Douleur et gloire, le maestro allait s’adonner à un format inhabituel pour lui, celui d’un film de 30 minutes, en anglais (une première dans cette riche et faste carrière) et avec l’Écossaise Tilda Swinton, autour d’une libre adaptation de la pièce en un acte de Jean Cocteau La voix humaine.

Un petit tour sur la fiche reliée à l’écrivain, dramaturge et cinéaste français sur Imdb mentionne étrangement une demi-douzaine d’occurrences récentes à l’échelle internationale autour de cette œuvre, sur des formats courts à chaque fois et sans qu’on sache si ces projets ont tous réellement abouti (un film avec Rosamund Pike, un autre signé Roger Avary avec Elsa Zylberstein, un troisième où Camille Rutherford tiendrait le rôle central, etc.) et si l’initiative almodovarienne a suscité des envies nouvelles de se mesurer au texte originel, datant des années 1930.

Pour ce qui concerne cette version de The Human Voice éditée en DVD par Pathé en France (mais sortie au cinéma en Espagne fin octobre 2020, après une grande première à la Mostra de Venise), le moins que l’on puisse dire est qu’elle est reconnaissable au premier coup d’œil : pas de doute, on est bien dans “una pelicula de Almodóvar”…

L’héroïne est une femme abandonnée et attendant pendant trois jours un homme, mais dont le chemin de croix évolue vers une digne reprise en main et trouvant un certain échappatoire en forme d’incendie. Cette issue est d’ailleurs ce qui échappe à la narration de Cocteau (d’où le côté “libre” de l’adaptation), dont le cinéaste explique – au fil de l’intéressante conversation, d’une bonne quarantaine de minutes, proposée parmi les suppléments – connaître le texte depuis les années 1970 et sa découverte de l’Amore de Roberto Rossellini, avec Anna Magnani, et l’avoir cité directement ensuite dans La loi du désir (1985) – sa première muse Carmen Maura, qui y jouait une comédienne de théâtre, l’interprétait sur scène.

Éminemment almodovarienne est aussi l’approche artistique du design et des couleurs, des vêtements et coiffures, des intérieurs et du décor, qui est délibérément celui d’un plateau de cinéma, pour une mise en abyme supplémentaire du paysage mental dans lequel se fond l’histoire de cette femme en détresse et… au bord de la crise de nerfs, sinon du gouffre de la folie !

Bien sûr, la rencontre entre ce grand pygmalion et une actrice de la dimension de Tilda Swinton semblait inéluctable et intervient enfin, dans l’attente d’une nouvelle collaboration future évoquée dans l’entretien déjà mentionné. La rousse Britannique, toute de rouge vêtue, excelle une fois de plus dans cet exercice de monologue, rappelant discrètement au passage les figures de Marisa Paredes ou de Cecilia Roth. Pour tous deux, cette collaboration marquante se défie des critères de durées, s’affirmant sur 30 minutes avec force et évidence, et c’est aussi là une belle reconnaissance exprimée pour le court métrage dans son ensemble.

Christophe Chauville

La voix humaine de Pedro Almodóvar, DVD, Pathé Films, 12,99 euros.
Paru le 19 mars 2021.

Photos : © Fernando Iglesias / El Deseo, 2020.

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