Sarajevo Stories : Una Gunjak du court au long
Dix ans pile après la présentation de son court métrage The Chicken à la Semaine de la critique, la réalisatrice bosnienne Una Gunjak voit son premier long métrage accéder aux écrans français (à partir du 12 juin prochain), après un très beau parcours dans les festivals internationaux.
C’était en 2014 à la Semaine de la critique, à Cannes. Une jeune réalisatrice inconnue de vingt-huit ans, venue de Sarajevo et passée par la National Film and TV School de Londres, Una Gunjak, présentait son premier court métrage : The Chicken (selon son titre international). L’histoire d’une famille composée d’une mère et de ses deux filles, dont l’une fête ce jour-là son anniversaire et à qui est apporté en cadeau un… poulet (vivant) ! Étrange présent, surtout “livré” par un homme en treillis repartant du reste illico : un soldat, mandaté par le père des fillettes et qui le rejoignait au front sans attendre… C’est à la fin du film qu’arrivait le carton situant la narration, comme on l’avait très vite saisi : “Sarajevo, 1993”.
Rappelons que la ville était alors cernée par les factions serbes (orthodoxes) et que des snipers tiraient sur leurs concitoyens d’hier, bosniaques donc (et musulmans), ainsi que l’inscrivait aussi en filigrane dans son scénario, l’an dernier, le long métrage d’une autre réalisatrice issue de ce coin d’Europe portant toujours ces stigmates d’un passé meurtri : L’homme le plus heureux du monde, de Teona Strugar Mitevska (qui est pour sa part macédonienne).
The Chicken permettait à sa réalisatrice de gérer un huis-clos tendu, où le danger est susceptible de surgir dès lors qu’on s’approche trop près de la fenêtre de chez soi. La petite Selma, dans la candeur de son enfance confinée, ouvrait la boîte de Pandore en préférant faire fuir le volatile plutôt que de le voir zigouillé et rôti pour le déjeuner, forçant sa mère à aller le récupérer en bas, sur l’esplanade de l’immeuble, à la merci des tireurs d’élite postés sur les toits.
Ce film, très fort, est ainsi devenu l’un des courts les plus marquants des années 2010, recevant notamment le Prix du meilleur court métrage aux European Film Awards, au bout de 270 (!) sélections et 70 prix en festivals. Depuis, la cinéaste, désormais installée à Paris, a co-signé l’un des épisodes de Lebanon Factory, présenté en ouverture de la Quinzaine des cinéastes 2017, avant de se tourner vers le format du long métrage.
Son premier, Excursion, arrive sur les écrans français en ce printemps 2024, après avoir été présenté dans une kyrielle de festivals à son tour (Angers, Locarno, Marrakech, Miami, Montpellier, Rome, Sarajevo, Thessalonique, Zagreb). Il porte assez ironiquement ce titre car s’il se déroule entre les murs d’un lycée, il n’est pas question de sortie scolaire, mais juste de l’échappée d’Iman, une jeune fille dans son propre imaginaire, qu’elle dépasse même en inventant, pour se rendre intéressante alors qu’elle est plutôt timide et isolée, une histoire de “première fois” consommé à l’occasion d’un jeu “Action ou vérité”, avant de surenchérir sur une fictive grossesse aboutissant à une affaire prenant évidemment de l’ampleur jusqu’à devenir incontrôlable, à l’époque des réseaux sociaux et des réputations vite établies et gonflées.
La mise en scène, à nouveau bien affutée, et la belle direction de jeunes acteurs et actrices place Una Gunjak comme une observatrice pénétrante des mécanismes ordonnant – et “désordonnant”, surtout – la jeunesse contemporaine, qu’elle soit occidentale ou originaire des Balkans. Artiste féministe, de surcroît, d’évidence, elle tisse aussi un lien entre court et long dans le fait patent que les adultes dans Excursion se trouvent en état de stress post-traumatique, ayant connu le choc de la guerre civile dans leur enfance, il y a trente ans.
Le cinéma sert aussi à ne pas l’oublier, alors que des élections d’une importance cruciale pour l’avenir du continent se profilent, dans la perspective d’un potentiel élargissement de l’Union européenne, précisément vers cette aire géographique.
À lire aussi :
- Jeunesse, mon amour : Léo Fontaine du court au long.
- Sur un autre premier long d’une réalisatrice originaire de Bosnie : Take Me Somewhere Nice, d’Ena Sendijarevic (2021).