Écoutons les voix de la Guyane : Kouté Vwa sur grand écran
Après Écoutez le battement de nos images, co-réalisé avec sa sœur Audrey et nommé au César 2023 du meilleur court métrage documentaire, Maxime Jean-Baptiste voit son premier long sortir en salles le 16 juillet. Le cinéaste, âgé de 32 ans, a tourné en Guyane, dont il est originaire du côté paternel.
Frère et sœur réalisateurs, Maxime et Audrey Jean-Baptiste vivent en métropole et partagent les mêmes racines guyanaises. Avec Kouté Vwa (qui sortira le 16 juillet, distribué par Les Alchimistes), coécrit à deux, mais réalisé par le seul Maxime, ils reviennent sur un fait divers : l’assassinat en 2012, à coups de couteau, de Lucas Diomar, un jeune DJ surnommé Turbulence. L’événement les a profondément et personnellement marqués, puisque Diomar était leur cousin. Initié comme un projet de documentaire, Kouté Vwa, dont la traduction littérale serait “écoute les voix”, s’est métamorphosé au fil du tournage en un fiction documentée, en intégrant de la matière à résonance autobiographique. Soit l’histoire d’un jeune métropolitain qui vient en Guyane pour passer ses vacances d’été auprès de sa grand-mère et de sa tante Nicole (la vraie maman de Lucas Diomar). Le souvenir de ce dernier hante encore les mémoires, habillant les murs de la ville.
Comment survivre après un tel événement ? Que faire face à la violence ? Doit-on, en l’absence de justice, se venger soi-même ? Cette dernière question, serpent de mer de nos sociétés, hante et traverse tous les genres du septième art. En témoigne la toute dernière Palme d’or 2025, le burlesque Un simple accident de Jafar Panahi, dans lequel des victimes du régime retrouvent leur tortionnaire et se demande bien qu’en faire. L’enfer !
Kouté Vwa passe et dépasse ce cadre théorique pour plutôt se livrer à l’heure bleue, celle de la mélancolie, de la musique, du blues et des fantômes, déployant ainsi un portrait polyphonique d’une Guyane méconnue. Film rare sur cette région à part, française et pas française à la fois, ce premier long métrage dresse un état des lieux de ce qui hier aurait été un paradis et qui, aujourd’hui, serait devenue une terre saoulée par la violence du monde.
Avant ce film, Maxime Jean-Baptiste a notamment réalisé avec sa sœur Audrey Écoutez le battement de nos images, un court métrage nommé aux César en 2021, produit par l’Observatoire du Centre national d’études spatiales, dans les archives duquel les Jean-Baptiste ont puisé toutes leurs images. Magie du montage, de la musique et de l’histoire réunies. On pense, l’influence est directe, à Diane Wellington d’Arnaud des Pallières – un très beau documentaire de 2010 se jouant du vrai et faux pour semer le trouble dans les interstices de l’histoire et creuser ainsi le sillon des rêves. Se jouant du réel qu’il réinvente, Écoutez le battement de nos images, entièrement expérimental, musical, ethnographique et anthropologique, revient sur la construction de la base spatiale de Kourou en 1969, cela du point de vue guyanais. La narration, voix off féminine, est celle d’une femme qui se souvient de ses années passées ; petite fille aux côtés de son grand-père. Elle évoque ses souvenirs, une vie éteinte mais encore vivace qui épouse étape après étape le fil de l’histoire, documentant façon journal intime l’installation, l’implantation de la colonisation.
Écoutez le battement de nos images (photo ci-dessous) est une étrange invitation à la rêverie historique portée par le traumatisme d’une perte, celle du paradis perdu. La voix, l’intonation des phrases, l’atmosphère sonore, les bruitages, la musique funèbre finale font que ce court métrage est un film qui s’écoute autant, voire plus qu’il ne se voit. Et, en tant que tel, il est une expérience immersive qui ne cesse de pencher vers l’art contemporain. Un film space donc.
Dès le début, Écoutez le battement de nos images nous transporte dans l’espace. La voix, souvent, s’installe dans ce fondu noir vinyle qui crépite un peu. Fondu au noir ? Carton ? Espace ? Radiographie du temps ? L’image quant à elle illustre sans illustrer, allant ailleurs, ouvre d’autres portes, résonne toujours juste. Les longs travellings, les panoramas, les vues d’avion appellent à se laisser aller à ses fusées. Après coup, on retient (surtout) ce passage complètement dingue qui montre la toute jeune ville de Kourou, à la fin des année 1970, sœur jumelle de Cergy et des ville nouvelles de ces années-là, vraie bizarrerie et témoignage en images de l’absurdie que fut la colonisation. Car ce voyage dans ce passé caché, oublié, à rebours, ne cesse en même temps de proposer une espèce de retour sur terre sur les souffrances perpétrées hier : pour ne pas oublier.
À noter que les Jean-Baptiste ont, chacun de leur côté, signé des courts métrages. On en retiendra deux. Moune Ô, tout d’abord, réalisé en 2022 par Maxime, produit par le Collectif Jeune Cinéma, est un documentaire autour de la projection de Jean Galmot, aventurier d’Alain Maline (1990), dans lequel le père du cinéaste jouait un rôle. Adieu l’enfance, ensuite, réalisé en 2020 par Audrey, produit par Films Grand Huit et interprété par Thomas de Pourquery et Garance Marillier.
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