"Diane Wellington" de Arnaud des Pallières
On vient de retrouver Diane Wellington, disparue en 1938 dans le Dakota du Sud.
Si ce n’était la première personne du singulier qui l’écrit, cette évocation d’une jeune fille disparue puis retrouvée pourrait être le récit d’un fait divers ou une adaptation romancée qui poursuivrait lointainement la trace du Truman Capote de De sang-froid.
En mimant l’alternance du cinéma muet entre images silencieuses et intertitres, Arnaud des Pallières instaure un très saisissant mode d’incarnation. Tandis que les images sont extraites de films amateurs, les mots racontent un souvenir d’enfance de la narratrice – “Ma mère était fille de fermier dans le Dakota du Sud” affiche le premier carton. Le film installe ainsi une distance temporelle tout en faisant mine d’authentifier les faits. Il n’est d’ailleurs pas exclu que ceux-ci soient en partie vrais ; le générique précise que le film est librement inspiré de South Dakota de Nancy Peavy, dont nous ne savons rien.
L’essentiel se joue plutôt dans les vibrations de doutes que la forme du film instille. Ces fermiers américains des années 1930 qui posent devant la caméra, ces rues enneigées, ces regards et ses sourires offerts à la caméra ou ces jeunes femmes qui tentent, plutôt par jeu, d’échapper à son regard, toutes ces scènes anodines puisées dans des archives anonymes attestent d’une réalité passée. Et entre les cartons du récit et ces plans muets arrachés à l’oubli du temps, se trame, entre rapprochements et contrepoints, la restitution d’un monde. Ces liens entre les mots et les images, sans systématisme aucun, sont suffisamment précis pour être perceptibles et en même temps ténus au point qu’on se demande qui de nous ou du film tisse véritablement les sens que nous croyons percevoir. Les personnes filmées ne figurent ainsi que lointainement les protagonistes du récit, et leurs apparitions disent aussi – surtout – un arrière-plan social, font ressusciter un uni- vers disparu avec cette mélancolie qui nous saisit face aux photos anciennes et qu’accentuent ici les tendres accords de piano plein de tact de Louis Moreau Gottschalk.
Mais lorsque le cinéma est véritablement du cinéma, les mots peinent à emprisonner ce qui est proposé. Au-delà du visible, les plans sont aussi rythme, musique, danse entre la réalité et ses fantômes. Cette dimension culmine dans la dernière partie de Diane Wellington, qui rime avec une autre séquence qui associait les pistes romanesques envisagées pour expliquer la disparition de la jeune fille à des vues de paysages en couleur prises depuis des véhicules en marche. D’autres images de transports puis des plans de mouettes brûlés par la lumière, soutenus par la vibration sourde et le souffle de la musique électronique de Martin Wheeler, nous emportent très loin, au seuil d’une disparition bien plus définitive, comme un tourbillon vers l’indicible.
Jacques Kermabon
France, 2010, 15 minutes
Article paru dans Bref n°96, 2011.
Réalisation et scénario : Arnaud des Pallières. Montage : Arnaud des Pallières et Caroline Detournay. Son : Jean Mallet et Jean-Pierre Laforce. Musique originale : Martin Wheeler. Production : Les Films Hatari et Le Fresnoy.