En salles 19/09/2024

Du court au long : Anthony Lapia, les voyages intérieurs

Avec After, Anthony Lapia passe le cap du long métrage comme réalisateur. Ayant produit une belle série de courts métrages (et un long), le voici donc doublement dans le bain du cinéma voué à la sortie en salles (le 25 septembre 2024) et à l’exploitation commerciale, à la fois comme producteur et comme metteur en scène. Retour sur ce parcours et sur son geste créatif.

Producteur autant que cinéaste, Anthony Lapia a toujours à cœur de mener à bien les projets qu’il défend. En accompagnant de jeunes cinéastes, comme Camille Degeye (cinq films courts de Pour tout bagage, on a vingt ans à Almost a Kiss, entre 2015 et 2022) ou Soufiane Adel (les courts La lumière tombe et Le jour où j’étais perdu, 2018/2023). En filmant aussi les espaces-temps décalés. De court en long métrage, il créé des bulles narratives où ses personnages partagent un moment, un trajet. Ces filles et ces garçons tentent aussi de mieux se connaître, de percer le mystère de l’existence, et d’exprimer leurs préoccupations, leurs blessures, leurs désenchantements. Leurs désirs aussi.

Dans Panda (2014) comme dans After (2023), une fille et un garçon sont réunis pour un périple de fiction. Dans le premier, Erika (Solène Rigot) et Issa (Finnegan Oldfield) prennent la route dans l’habitacle d’une voiture. Dans le second, Félicie (Louise Chevillotte) et Saïd (Majd Mastoura) traversent une nuit et un petit matin. Immersion, promiscuité, partage, découverte. Point commun aux deux films : une ouverture similaire. L’action démarre dans un parking collectif en sous-sol. Une étrangeté de quelques secondes, tant ce non lieu fermé, étouffé, saisi dans sa pénombre, transmet l’isolement et la claustrophobie, dans l’attente de voir où va être mené le regard. Si des êtres vont apparaître. Si des lumières vont s’allumer. Si des voitures vont sortir du lot.

Le flottement règne en maître, par l’absence de précision géographique, au service d’une poésie du nomadisme existentiel. Les enjeux humains priment, pas les contingences explicatives. Dans Panda (photo ci-dessous), le trajet spatial est un prétexte à l’échange entre le duo juvénile, et à la confession d’Erika, dans un jeu entre vérité et mensonge. Les faux-semblants abondent, par pudeur et par vulnérabilité. Tout comme la cigarette comble les gestes, et le plafonnier de la voiture éclaire en demi-teintes. Une Fiat Panda, qui donne son titre au film. Un passeport pour aller voir la mer.

Dans After, les longues séquences de danse virent à la transe, des très gros plans initiaux à des cadres plus larges, au fur et à mesure que le récit avance. Et, du corps collectif qui exulte sur de la musique techno, lancinante, émergent des silhouettes, jusqu’à ce que la caméra en suive une, Félicie, qui va bientôt entrer en interaction avec Saïd.

Le trip, balisé par la rythmique sonore, les multiples clopes, verres d’alcool et snifs de drogues, est lui aussi un lent glissement filmique. Une épopée ouatée pour le public qui le regarde, dans ses soixante minutes et quelques de narration. Le cinéaste veut faire ressentir et éprouver. Partager son vécu de la teuf urbaine, nocturne et diurne.

Le cinéma comme expérience. À l’image du nom de la société de production codirigée par Lorenzo Bianchi, Félicie Roger et Anthony Lapia : Acéphale, qui signifie sans tête. Dérivé de l’espèce mythologique humaine ou animale du même nom, souvent associée à un revenant ou démon.

Le réalisateur a d’ailleurs pensé à l’un de ses romans préférés en écrivant son scénario : Les démons, de Dostoïevski. Et à l’idée dudit romancier de créer des personnages incarnant des idées. Le face-à-face de deux protagonistes permet ainsi la coprésence de points de vue, l’ambivalence, le balancement, l’affrontement. L’idée du flottement encore, du renversement possible. Du tout est possible. Une certaine incarnation de l’imaginaire pour Anthony Lapia, artisan de l’image et du son, formé à la fois aux Beaux-arts et au cinéma, à Paris et à Madrid, et notamment passé par la Fémis, où Panda est né.

Dans After, selon ses propres dires, il peut mettre en scène sa constante navigation entre optimisme et pessimisme : “Oui, c’est bien la mise à jour de mon dialogue intérieur : optimiste vs pessimiste ! On peut trouver autant de joie dans le nihilisme que dans l’espoir, la dichotomie est trouble.” Alors entrons dans le trouble, et rejoignons les mondes parallèles de Panda et After.

Olivier Pélisson

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