Casablanca, la nuit : Les meutes de Kamal Lazraq
Projeté à Cannes en mai dernier, dans le cadre de la section officielle Un certain regard, le premier long métrage de Kamal Lazraq, cinéaste marocain formé à la Fémis, sera à voir en salles à partir du mercredi 19 juillet. Il est produit par Barney Production et distribué par Ad Vitam.
Les bas-fonds de Casablanca, des combats de chiens entre molosses terrifiants, un violent accrochage et une vendetta qui tourne mal : missionnés pour menacer un homme de main, Hassan et son fils Issam, issus des classes populaires, se retrouvent avec un cadavre sur les bras, massif et dont ils vont chercher à se débarrasser durant toute une nuit, agitée et riche de péripéties, à travers les rues de la ville et ses environs. Avec évidemment l’ombre du danger représenté par la bande du caïd dont le nervi a été occis, meute potentiellement aussi violente que celle des chiens de combat entrevus au début du film.
Le motif apparaissait déjà dans Moul lkelb/L’homme au chien (disponible sur Brefcinema actuellement, photo ci-dessous), dont le héros perd son fidèle compagnon canin alors qu’il se baigne dans l’océan et se lance à sa recherche à travers une “Casa” similairement nocturne, son enquête le conduisant vers les milieux interlopes de la pègre locale, où l’on joue du cran d’arrêt au moindre prétexte. C’est ainsi dans un univers de film noir inattendu, au sein d’une société marocaine extrêmement contrastée qu’entraîne Kamal Lazraq, qui en avait fait le motif de son film de fin d’études de la Fémis, Drari (2011), chronique d’une amitié entre deux jeunes hommes issus de classes diamétralement opposées.
Dans Les meutes comme dans Moul lkelb, la figure métaphorique du chien permet de brosser ce tableau social : utilisé comme arme, comme les hommes de main, et/ou méprisé, tout en bas de l’échelle – “Tu ferais mieux de t’acheter un mouton”, lance un gosse à “l’homme au chien”. Éprouver un lien, de la compassion ou de l’affection pour un animal dit de compagnie semble inconcevable dans un environnement – quasi exclusivement masculin – aux rapports d’une rudesse inouïe, où tout peut se monnayer, y compris la découpe d’un corps pour le faire entrer dans un four industriel.
La police elle-même se sert en pots de vin divers au passage et le regard du cinéaste est lucidement désabusé sur cet état des choses, ce qui rappelle aussi l’un de ses films d’école de la Fémis, Les yeux baissés (2011), où des militaires accusés d’avoir trempé dans une tentative de coup d’État étaient arrêtés, torturés et exécutés, dans une narration sèche et tranchante, où le jeune réalisateur dirigeait notamment les excellents et minéraux Abel Jafri et Slimane Dazi.
Depuis, il a plutôt – et largement – dirigé des comédiens non professionnels et Les meutes couronne cette démarche délibérée, à travers ce duo père/fils composé d’Abdellatif Masstouri – au profil et au physique de baroudeur, repéré dans la rue alors qu’il tenait un stand ambulant de sardines grillées (!) – et d’Ayoub Elaid, au visage pasolinien, comme le souligne justement Kamal Lazraq, et qu’il a fallu convaincre de “faire l’acteur”.
Une réussite sans faille également sur ce plan-là, la belle lumière d’Amine Berrada, également issu de la Fémis, achevant de donner un dimension crépusculaire supplémentaire à ce polar urbain venant confirmer la belle santé du cinéma du royaume chérifien, revigoré par sa nouvelle génération (citons Sofia Alaoui, Maryam Touzani, Hicham Ayouch, etc.).
À lire aussi :
- Kamal Lazraq, lauréat de la Fondation Gan en 2021 : entretien.
- La nuit du verre d’eau : Carlos Chahine du court au long.